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Origines réelles de la Franc-Maçonnerie - 3

Si nous passons en Écosse, nous voyons — toujours d'après les documents anglais[1] — que la Loge-Mère de Herodom de Kilwinning fut fondée en 926. Or, la Maçonnerie chrétienne-romaine existait bien certainement auparavant, puisqu'en 560 une cathé­drale fut construite par les soins de saint Mungo à Glasgow, où un évêché fut installé, et qu'entre 560 et 926 une foule de monastères furent bâtis, comme on en bâtissait dans le même temps en Angleterre, en Irlande et ailleurs. En 1057, sous le règne de Mal­colm III qui protégea l'Ordre, on voit une loge Saint-Jean paraître à Glasgow, où elle existe encore[2]. En 1128, un autre protecteur de l'Ordre, David Ier, fait construire l'Abbaye de Holyrood à Edimbourg, et, en 1192, sous le règne de Guillaume le Lion, autre Pro­tecteur maçonnique, l'évêque Jocelyn, Grand-Maitre de l'Ordre, construit à Glasgow une église sur l'emplacement de la cathédrale de saint Mungo, détruite en 1136.

Quelques auteurs maçonniques — comme le fr∴ Rebold par exemple[3] — assurent que quelques Maîtres-Maçons d'York allèrent, dans les premières années du huitième siècle, s'établir aux environs de Glenberg, en face de l'île de Sky, et qu'ils y formèrent un corps spécial dont les membres furent appelés Maîtres de la vallée ou Maîtres écossais. Il serait beau­coup plus juste, à mon avis, de dire que les Maîtres écossais du huitième siècle étaient simplement les moines de l'Ordre Tyronentien qui accompagnèrent saint Winning dans sa mission, identique à celle de saint Augustin en Angleterre.

Là aussi, en Écosse, on constate que la Maçonnerie relève des moines ; elle s'occupe, là, comme ailleurs, de construire à profusion des édifices religieux, des châteaux-forts et des palais, alors que d'autres moines, Maçons spéculatifs, travaillent à assurer la puissance des hommes qui décoreront ces établissements, aux frais des peuples sur lesquels on prélève déjà la Dîme.

Relativement à la Maçonnerie écossaise, voici comment s'exprime le fr∴ Clavel :

La confraternité des Maçons était organisée de la même manière qu'en Allemagne et en Angleterre. On la voit, dès 1150, former un établissement dans le village de Kilwinning, et, peu après, sur divers autres points[4].

J'observe, en premier lieu, que, suivant les Masonic Calendars anglais, l'ancienne Loge-Mère de Kilwinning aurait été fondée, non pas en 1150, mais en 926, sous le règne de Constantin III, lequel finit par se faire moine en cédant sa couronne à Malcolm Ier. Dans son History o/ Masonry, le fr∴ Laurie fait remonter la fondation de cette Loge-Mère à la construction de l'Abbaye de Kilwinning. Mais cette construction, commencée en 1128 à l'endroit même où avait vécu saint Winning, fut continuée en 1140 par Hugh de Morville, qu'on vit, dix ans après, à la tête de Maçons lombards, possesseurs d'une Charte qu'ils tenaient, depuis vingt-sept ans, du pape Calixte II. Quant au village de Kilwinning, il avait été construit longtemps auparavant, et j'estime, en me basant sur les scrupuleuses recherches que j'ai faites, que c'est là, où saint Winning et les moines qui l'accompagnaient avaient vécu au huitième siècle, et à l'emplacement mème où l'on érigea l'abbaye, que la Loge- Mère fut fondée de leur temps.

Qu'en 926, à l'époque du roi Athelstan d'Angleterre, des Maçons anglais, aient été introduits en Écosse à l'effet d'y travailler comme d'autres travaillèrent en Irlande, — c'est possible ; mais la Maçonnerie chrétienne-romaine-écossaise est bien antérieure, car elle remonte, sinon à saint Mungo, au sixième siècle, au moins à saint Winning, au huitième. Je veux admettre aussi, qu'à l'époque où les Templiers, qui étaient alors une armée du Pape, comme on le voit bien dans leurs anciennes Constitutions et leurs Rituels, commencèrent à diriger les Loges en Angleterre, c'est à-dire en 1155 et après, surtout sous le pontificat d'Adrien IV, né sujet anglais, des Loges anglaises ont pu être installées en Écosse, où l'on a pu espérer leur voir faire ce que les Loges anglaises d'Irlande firent à la même époque en faveur d'un « libérateur » anglais. Ceci cadre d'ailleurs avec ce fait que les rois d'Angleterre envahirent plusieurs fois l'Écosse. S'ils n'y réussirent pas comme ils réus­sirent en Irlande, c'est que, d'un côté, le zèle des Écossais pour la Papauté était devenu réel[5], et que, d'autre part, la politique des rois anglais fut précisé­ment déjouée par les Templiers au moment même de la proscription de leur Ordre en Angleterre.

A cet égard, une explication me paraît être indispensable.

On sait que les barons d'Écosse, au nombre desquels figure un Templier du nom de William de Ramsay, avaient — montrer ainsi moins de fierté mais plus d'adresse que les chefs Irlandais — écrit un jour au Pape pour qu'il déclarât l'Écosse indépen­dante et sous sa protection, et que Boniface VIII, à qui il semblait indifférent de recevoir les tributs écos­sais plutôt des rois d'Angleterre que de ceux d'Écosse, avait à son tour écrit à Edouard Ier « qu'il n'eût plus à faire la guerre aux Écossais, parce que leur royaume avait été mis par eux-mêmes sous la protection et la puissance des papes, et que lui seul avait le droit de le donner à qui bon lui semblerait[6] ».

Mais Edouard Ier, Protecteur de la Maçonnerie ca­tholique-romaine d'Angleterre, ne tenant apparem­ment aucun compte de la volonté papale, et profitant aussi bien d'une dispute survenue entre Boniface VIII et Philippe le Bel que d'une guerre civile éclatée en Écosse entre prétendants rivaux, envahit ce royaume pour mettre ceux-ci d'accord. Il y eut d'abord une sorte de soumission, un prétendant régna sous la férule d'Edouard Ier, puis ce dernier voulut régner sur l'Écosse, ensuite une révolte eut lieu, et enfin en 1306, Robert Bruce, excommunié par le pape Clément V ayant sans doute pris avec le roi d'Angleterre des engagements contraires à ceux pris par Boniface VIII avec les barons d'Écosse, fut solennellement couronné à Scone à la grande satisfaction du clergé.

Vaincu par Edouard Ier, Robert Bruce passe en Ir­lande, où il trouve des appuis et d'où il revient bien­tôt pour soulever de nouveau l'Écosse. Sur ces entre­faites, Edouard II succède à son père qui vient de mourir, et, rebelle à ses dernières volontés, ne poursuit pas, conseillé en cela par un favori français appelé Gaveston, la guerre contre Robert Bruce. A ce moment, en 1307, on commence en France à donner la chasse aux Templiers, coupables — ayant perdu beaucoup d'argent dans des opérations frauduleuses du roi sur les monnaies — d'avoir favorisé des émeutes dans Paris. Quelques-uns, sous la conduite d'Antoine Perrent et d'un neveu de Jacques Molay, quittent la France et se réfugient en Angleterre, où des commanderies existent à Bristol, à Bath, à York et dans d'autres endroits ; à Hampton-Court, à quel­ques milles de Londres, plusieurs réfugiés sont reçus par le Commandeur Georges Harris.

En 1311 a lieu le Concile de Vienne, dans le Dau­phiné, sur l'ordre du pape Clément V, ancien arche­vêque de Bordeaux que le roi Philippe le Bel avait été assez influent pour faire élire ; ce dernier se rend au Concile, ainsi qu'Edouard II et Jacques II d'Ara­gon. L'assemblée, composée de ces trois rois, de trois cents évêques, des deux patriarches d'Antioche et d'Alexandrie, et du Pape en personne, décide de se débarrasser des Templiers, à cause de leurs richesses, de leur orgueil et de leur irreligion — a-t-on dit — mais en réalité parce que cet ordre religieux et mili­taire, qui n'avait jamais cessé de combattre pour le christianisme en Asie et en Afrique, était devenu une puissance politique redoutable, depuis qu'il avait appris en Orient le véritable secret des anciennes initiations. Edouard Il revient en toute hâte en Angle­terre, où la guerre civile bat son plein, secrètement attisée par les Templiers facilitant à Robert Bruce, pour se venger, la conquête de l'Écosse sur les Anglais -divisés ; et, tandis que les barons soulevés décapitent Gaveston, le roi supprime les Templiers, leur Grand-Maître provincial meurt dans la Tour de Londres et les chevaliers, obligés de s'enfuir, passent en Écosse. Là, ils retrouvent Georges Harris, qui s'était rendu à Mull pour y recevoir des Templiers arrivant de France, entre autres Pierre d'Aumont, Grand-Maitre provincial d'Auvergne.

Tous sont résolus, aussi bien les anciens chevaliers d'Écosse que les nouveaux venus, de continuer l'Ordre. Ils se réunissent en Assemblée générale le 8 avril 1312, et, comme ils sont parfaitement des Francs-Maçons[7], ils reconnaissent pour chef Henri Fitz-Edwin. Grand-Maître de la Maçonnerie ; puis, avec l'appui de Robert Bruce, ils décident de réformer l'Ordre maçonnique écossais, rassemblent leurs grades sous des appellations nouvelles et basent les réceptions des Maçons sur celles en usage dans l'Ordre du Temple.

Le Pape, lui, le 2 mai, lance une Bulle qui casse, supprime et annule l'Ordre religieux et militaire des Templiers ; quant à Edouard II, il ordonne en 1313, un nouvel envahissement de l'Écosse. Mais il est trop tard : Robert Bruce, tenant la plus grande partie du pays et ayant pour lui tous les chevaliers, prêtres, moines et seigneurs d'Écosse, est, le jour de la Saint-Jean en 1314, définitivement vainqueur à Bannock-burn, grâce à la foi ardente de ses troupes, car, avant la bataille, et devant l'armée écossaise prosternée, l'abbé d'Inchaffray avait agité le crucifix et ensuite promené une relique précieuse : le bras de saint Fillan, patron favori du nouveau roi[8].

Victorieux, Robert Bruce rétablit — assurent les Masonic Calendars anglais — l'Ordre Royal d'Écosse, dont il se réserve la Grande-Maîtrise héréditaire et qu'il installe dans la vieille Loge de Kilwinning élevée au rang de Grande-Loge[9]. Enfin, comme la place de Berwick était restée au pouvoir d'Édouard II, Robert Bruce, comptant bien s'en emparer afin d'as­surer la complète indépendance de son pays et forcer ainsi les rois anglais au respect des volontés de Boni­face VIII, voulut occuper ailleurs les forces anglaises, et, malgré l'avis sincère ou non de deux nonces du Pape Jean XXV[10], il envoya six mille hommes en Irlande, sous le commandement de son frère Edouard Bruce, afin d'y détruire la souveraineté anglaise. Cette expédition, comme nous l'avons déjà dit, ne réussit pas ; mais Robert Bruce parvint à s'emparer de Ber­wick, ce qui, en réalité, était peut-être la seule chose qu'il voulût.

Les historiens profanes disent de lui qu'il fut chéri du peuple et qu'il ne fit jamais la guerre que pour le tirer de l'oppression et le rendre heureux. Quand il mourut, en 1329, il conjura Jacques Douglas, un de ses amis, de porter son cœur dans la Terre-Sainte. Il eut deux enfants, David II, qui lui succéda au trône et à la Grande-Maîtrise maçonnique, et une fille qui porta le sceptre d'Écosse dans la maison des Stuarts.

A partir de ce moment, et ceci est digne d'attention, l'Écosse paraît devenir l'alliée continuelle des Rois français personnifiant la France, fille aînée de l'Église. Entre les deux pays, un échange ininter­rompu a lieu en prêtres, nobles, soldats, et sans doute aussi en Maçons ; et l'on constate, chaque fois que les rois anglais se disputent avec les rois de France, que les rois d'Écosse — comme le fr∴ David II par exemple — font des ravages dans le nord de l'Angle­terre, merveilleuse politique qui donne lieu de penser que les Templiers y participant avaient déjà mis beaucoup d'eau romaine dans leur vin, si toutefois il est vrai qu'ils eussent cessé d'en mettre avant leur des­truction plus apparente que réelle.

En 1371, sous le fr∴ Robert II (Stuart) la résidence du Grand-Maître secret de leur Ordre fut définitive­ment établie à Aberdeen, la « cité de Granit » ; c'est de cette place, dont les archives remontent à 1398, qu'ils recommencèrent à se répandre, mais d'une manière occulte, en France, en Italie, en Suède, en Allemagne et dans d'autres contrées.

Or, depuis le rétablissement de l'Ordre Royal d'Écosse par Robert Bruce, la Loge d'Édimbourg avait des grades et des secrets particuliers. N'étant pas Maçons manuels, les Templiers, comme au temps où ils administraient les Loges anglaises, et aussi comme les Chevaliers de Rhodes qui les remplacèrent en An­gleterre, s'appelaient « Maçons libres et acceptés ». Cette appellation était également commune aux prê­tres, évêques, seigneurs, comtes, marquis, ducs, princes, rois, qui encadraient l'Ordre.


[1] The British and Colonial masonic Calendar, 1866, p. 192.

[2] Liste des Loges. The B.,!. and C. Calendar, 1866, p. 192.

[3] Hist. gén. de la Franc-maç., p. 103.

[4] Hist. pittoresque de la Franc-Maç., 1844, p. 93.

[5] History of Free Masonry, by Br∴ Laurie.

[6] Polydore Virgile, Hist. angl., liv. 7.

[7] On sait qu'à partir de 1155, l'Ordre des Templiers avait gouverné l'Ordre des Maçons en Angleterre.

[8] History of Scotland.

[9] Historical Land mark by Bro∴ Dr Oliver, vol. Il, p. 12 ; A Lexicon of Freema.sonry, by Bro∴ Mackey, 1855, p. 238 ; Hist. gén. de la Franc-Maçonnerie, Rebold, 1851, p. 116 ; Acta Latomorum, Thory, 1815, p. 6, 131 et 164; Etudes hist. et phil., etc., J.-S. Boubée, 1854, p. 68 ; History of Freemasonry, by Laurie, 1804 ; etc., etc. — Beaucoup d'écrivains maçonniques n'ont voulu voir qu'une légende dans tout ce qui se rattache à Ordre Royal d'Ecosse ; mais cette légende, si légende il y a, est plus admissible que celle qui repose sur la fausse Charte fabriquée à Charlestown, en 1802, et attribuée à Frédéric II.

[10] History of Scotland.

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jeudi 21 novembre 2024