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Origines réelles de la Franc-Maçonnerie - 1

A la demande du docteur Papus, notre ami Teder a entrepris un travail historique sur les Origines réelles de la Franc-Maçonnerie en France, ce travail devant être divisé en quatre Lectures destinées aux Tenues blanches de la Grande Loge swedenborgienne.

La première lecture, qui fut donnée le 11 mars der­nier, et que la Revue maçonnique Hiram a publiée in extenso, a montré, à l'aide d'arguments nouveaux, que la Franc-Maçonnerie tirait son origine des Esséniens provenant eux-mêmes des anciens Initiés d'Égypte, et, au moyen de faits et d'exemples pris aux sources les plus pures de l'Histoire ou dans les écrits des Pères de l'Église primitive, a prouvé la dualité de l'en­seignement — exotérique et ésotérique — aussi bien chez les premiers chrétiens que chez les Esséniens, de qui ceux-là procédaient.

La deuxième lecture, que nous publions aujourd'hui et qui a eu lieu le 1er juillet, traite de la Maçonnerie chrétienne dans les îles Britanniques et de son introduc­tion par les moines, continuateurs des Esséniens et agis­sant selon les ordres des évêques universels de Rome ; elle fournit, d'après les auteurs anglais, la liste de tous les grands Maîtres et Protecteurs de l'Ordre qui se sont succédé dans les trois Royaumes jusqu'à l'avènement de la maison Stuart en 1601 ; elle met en parallèle la qualité maçonnique et la conduite politique ou privée de ces Protecteurs et de ces Grands-Maîtres, choisis parmi la noblesse ou la Prélature, et fait voir — preuves historiques et documents maçonniques à l'appui — que, jusqu'au commencement du dix-septième siècle et en dépit de la rupture de Henri VIII avec le Saint-Siège, cette Maçon­nerie fut uniquement catholique-romaine, à l'usage de la Papauté et de l'Empire.

Il est certain, quand on parcourt les manuscrits ma­çonniques signalés par l'Initiation l'année dernière, et qui ont échappé à l'autodafé de 1720, que, même sous Henri VIII et Elisabeth — lesquels ne furent jamais luthériens — les Instructions en usage dans les Loges prescrivaient la fidélité à Dieu, à la Sainte Église et au Roi : ce qui rappelait beaucoup les prescriptions égyp­tiennes relatives au Maître des Arcanes et à ses deux agents, le Génie du Bien et le Génie du Mal.

— « J'aurais pu, nous a dit privément Teder, aller fort loin dans cette voie des ressemblances parfaites. Par exemple, pour prouver que les anciennes Instructions maçonniques, en exigeant la fidélité à la Sainte Eglise et au Roi, étaient en accord absolu, non pas seulement avec les vieilles conceptions égyptiennes ou hébraïques mais encore avec la raison d'être du catholicisme romain, quoi de plus simple et de plus frappant que de rappeler ce passage initiatique de la Constitution Unam Sanctam de Boniface VIII : « Jésus-Christ, près de sa passion, demande à ses disciples deux épées ; or, ces deux épées sont manifestement les deux puissances par lesquelles le monde est gouverné — le Sacerdoce et l'Empire... Dieu, au commencement du monde, créa deux Luminaires : le grand Luminaire est le Sacerdoce qui, comme le soleil, éclaire par sa propre lumière ; le moindre Luminaire est l'Empire, qui, comme la Lune, n'a qu'une lumière d'emprunt »...

En effet, les anciennes Instructions maçonniques por­tant fidélité à Dieu, à la Sainte Église et au Roi, c'est la même chose que la Constitution de Boniface VIII : fidé­lité à Dieu et à ses deux épées, fidélité à Dieu et à ses deux Luminaires, la Sainte Eglise et l'Empire.

Qu'on ergote tant qu'on voudra sur cette question, les anciennes Instructions maçonniques anglaises sont des faits et resteront des faits indéniables.

Depuis son Introduction dans les Iles Britanniques jusqu'à l'avènement de la maison Stuart

Dès que l'Empire romain eut été transformé en Impérialat de l'Église triomphante, les chefs des Barbares devinrent pour celle-ci un moyen radical de persuasion religieuse, et, de brigands qu'ils étaient, ils ne tardèrent pas à être métamorphosés à leur tour, sans passer par les sévères et dures épreuves essé­niennes, en rois bons, justes et vertueux.

« J'invoque — écrivait un jour le pape Grégoire II à Léon III, empereur d'Orient — j'invoque Jésus-Christ, chef de l'Armée céleste... Réfléchissez, tremblez, repentez-vous : de pieux Barbares jurent de venger l'Église... »

Une autre fois, s'adressant à Louis-le-Débonnaire, le pape Étienne IV fait ce marché : « Je te donne la couronne, parce que tu me garantis la libre jouissance de mes droits... »

Cette politique, difficilement conciliable avec les Commandements divins et la doctrine du Christ relative aux Royaumes de la terre, n'est vraiment pas merveilleuse ; mais elle est tout entière contenue dans les Livres Carolins, où l'on peut lire que « les princes ayant reçu le glaive de la main de l'Église, celle-ci a le droit de le leur ôter[1] » ...

Quand on veut savoir comment les choses ont dû se passer à l'origine de l'Impérialat papal, il suffit de jeter un coup d'œil sur cet extrait initiatique d'une lettre que Calixte III écrivit, beaucoup plus tard, à Mahomet II[2] :

« Si vous voulez étendre vos conquêtes, vous n'avez besoin que d'un peu d'eau pour vous faire baptiser ; nous implorerons alors votre bras contre les ennemis de l'Église romaine, et, à l'exemple de nos prédécesseurs qui transférèrent à Charlemagne l'Empire des Grecs, nous vous appellerons Empe­reur de l'Orient. »

Observez seulement ce qui se passe de nos jours avec les missionnaires qui, aux frais des États où l'on mange le plus du clérical, s'en vont, souvent de très bonne foi et toujours avec courage, évangéliser les contrées fertiles. C'est aux pauvres qu'ils s'adressent de préférence, quand la diplomatie n'a pu s'aliéner l'esprit des chefs. Ils disent aux malheureux que tous les hommes sont frères — ce qui est bien ; ils leur font connaître leurs droits à la vie — ce qui est bien encore ; en même temps, ils répètent les paroles de Jésus s'adressant aux maîtres égoïstes et injustes : « Malheur aux riches et aux puissants ! ... » Les puis­sants et les riches, qui peuvent ne pas mériter de l'être, qui ont des prêtres pour les censurer, qui sont dans leur propre pays, s'indignent d'être ainsi moralisés par des étrangers ; les chefs se fâchent, veulent chasser ces hommes exotiques qui leur paraissent être des semeurs de discordes, ceux-ci se tournent vers leur partie ou vers des usurpateurs capables de tout, et, bientôt, des soldats ou des brigands arrivent, sous prétexte de défendre tantôt le christianisme, tantôt des nationaux, mais en réalité pour s'emparer d'une contrée dont l'exploitation fait envie à des financiers, à des fonc­tionnaires, à des commerçants, alors que ceux qui représentent l'Église espèrent pour elle une nouvelle source de revenus. Et le beau, c'est que brigands ou soldats étrangers sont considérés comme des libéra­teurs par ceux des indigènes qui se révoltent contre les lois de leur patrie ou restent passifs devant sa conquête.

Voilà ce que nous avons vu, à diverses époques de l'Histoire, en Amérique, aux Indes, en Chine, au Tonkin, en Afrique, partout où il y a de la richesse à réaliser, des tributs à percevoir, des douanes à établir, des chemins de fer à construire ; mais jamais on n'a vu ce genre de civilisation pseudo-chrétienne s'étendre jusque chez les peuplades misérables qui végètent le long des côtes désolées de l'Océan glacial arctique.

Eh bien, ce qui s'est passé dans ces derniers siècles au sujet des contrées « ignorantes et grossières » qu'on est allé « civiliser » sans les rendre moins pressurables qu'auparavant, est, à peu de chose près, ce qui a eu lieu quand les Barbares, ayant reçu le glaive de la main de l'Église, se partagèrent l'Europe, à une époque où les Maçons constructeurs de monastères et de basiliques, c'est-à-dire les moines que saint Épi­phane et Eusèbe de Césarée nous représentent comme les successeurs directs des Esséniens, étaient les seuls missionnaires.

C'est alors qu'on pouvait dire, et avec juste raison, que le Christianisme romain et la Maçonnerie dirigée par les moines se complétaient l'une par l'autre et se prêtaient un mutuel secours.

Le fr∴ Montesquieu, de la première Loge de Bussy n° 90, a si bien observé ce que je rapporte au­jourd'hui qu'il a été, dans son Esprit des Lois, jusqu'à donner aux princes de la Cochinchine le conseil de fermer leurs États aux missionnaires[3] .

Mais il n'y a pas que Montesquieu qui a observé cela ; une foule d'auteurs classiques ont vu la même chose. Par exemple, le fr∴ Alfred Rambaud, qui fut mi­nistre après avoir été professeur à la Faculté des Lettres de Paris, s'exprime ainsi, quand il parle de la romanisation de notre propre pays : « Un mot d'ordre court dans toute la Gaule ; une main invisible prend par la main Clovis le Païen et devant ses pas aplanit tous les obstacles. Les évêques, chefs des populations catholiques, préparent l'avènement de cette horde de pillards qui deviendra la très chrétienne nation des Francs[4] . »

Il y eut donc, dès que les évêques romains, déviant de la voie tracée par le Christ, eurent mêlé la poli­tique à la religion, une sorte de contrat maçonnique passé entre eux et les usurpateurs d'États : ceux-là faisant préparer les peuples, exploités à la façon païenne, à souffrir d'être « libérés » par des Barbares ayant reçu de Rome le pouvoir d'usurper, et ceux-ci promettant une dîme sur toute entreprise suivie de succès. Arracher, détruire, disperser, reconstruire, comme a dit un pape, fut le plan qu'on suivit.

On a voulu et l'on voudrait encore laisser croire, dans certains milieux, que l'idée de la Franc-Maçonnerie, telle qu'elle existe aujourd'hui, est venue de simples ouvriers maçons. Or, dans An Anhiman Rezon, publiée à Charleston en 1807, le fr∴ Dalcho, 33°, qui, en 1820, entra dans les Ordres religieux, établit clairement que « l'ancienne société des Maçons libres et acceptés n'a jamais été un corps d'architectes, mais bien une société secrète instituée dans un but moral et religieux ».

La vérité est qu'à côté de l'architecture matérielle, il y avait l'architecture morale, celle qui consiste à édifier les États, créer des institutions, les fortifier, les rendre inattaquables, et celle-ci regardait seule­ment les initiés au grand mystère de la vie double. Ce sont ces initiés-là seuls qui sont les vrais fonda­teurs de la Franc-Maçonnerie ; eux seuls, étudiant et méditant dans les cloîtres, ont été capables de dissi­muler la vérité sous des symboles et de mêler la lé­gende à l'histoire ; les autres, les ouvriers construc­teurs, ignorants comme tous les autres ouvriers de leur époque, mais pieux et honnêtes, n'ont été que des outils et des paravents.

Or, à cette époque dont nous nous occupons, à cette époque où les peuples ne font que changer de maîtres inhumains, où ceux-ci ne font que perpétuer sous un autre nom l'égoïsme odieux reproché aux païens, il est déjà très clair que la charité universelle prêchée par Jésus n'est plus qu'un vain mot dans certaines bouches, que le « but moral et religieux » poursuivi en répandant le sang des hommes n'est qu'un prétexte destiné à cacher l'amour de la dîme, que l'Unité dans la Diversité n'est plus comprise, que l'éclectisme essénien est absolument oublié.

Il est remarquable que nos écrivains maçonniques les plus en vue, après nous avoir montré Jésus initié à l'Ordre des Esséniens et nous avoir assuré que ceux-ci avaient des signes et une décoration que tout Maçon peut aisément reconnaître, aient négligé de nous parler de la Maçonnerie existant à l'époque où la France, c'est-à-dire la « horde de pillards » qui mit la Gaule en coupe réglée, commença à être appe­lée « fille aînée de l'Église ». Faire étalage, au sujet des peuples étrangers, des nations disparues et des initiations antiques, d'une érudition qui n'en finit plus, et s'arrêter tout d'un coup quand il s'agit de nous autres, n'est-ce pas là une chose bien curieuse N'est-il pas aussi étrange, par exemple, de voir le fr∴ Clavel, dans son Histoire pittoresque de la Franc-Maçonnerie, nous parler avec force détails de l'origine de la Maçonnerie anglaise, écossaise, ita­lienne, allemande, russe, voire même chinoise, et oublier de nous entretenir, au moins avant 1725, de celle d'Irlande et de celle de France ?

Cependant cet estimable auteur veut bien nous ap­prendre que « lorsque les Barbares se convertirent au Christianisme, les Corporations (de la Rome païenne) fleurirent de nouveau ; les prêtres, qui s'y firent admettre comme membres d'honneur et comme patrons, leur imprimèrent une utile impulsion et les employèrent activement à bâtir des églises et des monastères[5] ... » Cela, en Italie, où, selon le fr∴ Clavel, les frères de ces Corporations étaient divisés en trois classes : Apprentis, Compagnons et Maî­tres[6].

Mais s'il a été nécessaire que les Barbares fussent convertis au Christianisme pour que les Corporations pussent fleurir de nouveau, c'est donc qu'elles étaient en sommeil, ou bien qu'elles étaient envahies par des éléments chrétiens et que, pour ce fait, dans les pays mêmes où les Barbares furent appelés, elles étaient gênées par des autorités ne voulant entendre parler ni de monastères ni d'églises ?... Point n'est besoin de méditer longtemps sur ce sujet, pour com­prendre que les Corporations en question ne purent renaître et prospérer qu'à la condition de faire pro­fession de catholicisme et d'être dociles au Saint-Siège, adversaire implacable du paganisme et de tout schisme.

Le fr∴ Clavel reprend :

Quelques corporations se réunirent alors et se constituèrent en une seule grande Association ou Con­frérie, dans le but d'aller exercer leur industrie dans les pays où le Christianisme, récemment établi, man­quait alors d'églises et de monastères. Les Papes se­condèrent ce dessein. Ils conférèrent donc à la nouvelle Corporation... un monopole qui embrassait la chrétienté entière... Les diplômes qu'ils délivrèrent à cet effet aux Corporations leur accordaient protection et privilège de construire tous édifices religieux ; ils leur concédaient le droit de relever directement et uniquement des Papes, et « les affranchissaient de toutes les lois et statuts locaux, édits royaux, règle­ments municipaux concernant soit les corvées, soit toute autre imposition obligatoire pour les habitants du pays »... Défense fut faite « à tout artiste qui n'était pas admis dans la Société d'établir aucune concur­rence à son préjudice, et, à tout souverain, de soutenir ses sujets dans une telle rébellion contre l'Église ». Et il fut expressément enjoint à tous « de respecter ces lettres de créance et d'obéir à ces ordres sous peine d'excommunication » ... Les pontifes sanctionnaient des procédés aussi absolus par « l'exemple d'Hiram, roi de Tyr, lorsqu'il envoya des architectes au roi Sa­lomon pour édifier le Temple de Jérusalem » ... « Com­posées d'abord exclusivement d'Italiens, les Associa­tions maçonniques ne tardèrent pas à admettre des Grecs, des Espagnols, des Portugais, des Français, des Belges, des Allemands. D'un autre côté, des prêtres et des membres des Ordres monastiques et des Ordres militaires s'y firent recevoir en grand nombre[7] » ...

Parmi les Papes auxquels le fr∴ Clavel fait allu­sion, citons Boniface IV qui, dans la dernière année de sa vie, en 614, accorda des diplômes spéciaux aux Maçons.

Le fr∴ Rebold, lui, constate qu'au temps dont nous parlons ces Corporations étaient « exclusivement occupées par les Ordres religieux, dirigés par eux, et par cela même attachées aux monastères ». Il dit encore :

« L'abbé ou tel autre ecclésiastique, s'il est en même temps architecte, préside la Loge (assemblée générale de tous les artistes et ouvriers) ; alors, il est commu­nément appelé Vénérable Maître[8] » ...

N'oubliez pas, je vous prie, que les souverains qui, dans ces siècles aujourd'hui oubliés, naissent en même temps qu'émerge cette Maçonnerie papale, sont des créatures des évêques universels de Rome. Si alors il y a un « Art Royal », on peut être assuré qu'il est mo­delé sur la vieille architecture égyptienne ou hébraïque. En effet, l'Ordre des prêtres, en Égypte ou chez les Hébreux, gouvernait sous le masque des Rois, et quand ceux-ci étaient pris dans la caste militaire, on les initiait aux mystères ignorés des peuples ; mais les rois ne devaient établir aucun Ordre secret particulier, sous peine d'être frappés d'anathème. Les Papes — on vient de le voir par ce que nous révèle le fr∴ Clavel — prennent exemple sur cette politique : la Maçonnerie est catholique, c'est-à-dire universelle, mais uniquement romaine, et ne doit relever que du Saint-Siège, lequel, si nous nous en rapportons seulement au cardinal Baronius, dont la vertu et la probité litté­raire ne peuvent être mises en doute, est alors occupé, et depuis longtemps déjà, par des hommes pour qui la vie de Jésus ne sert qu'à tromper les masses — d'ailleurs surveillées miroitement par une milice ouvrière dont la direction est le partage de prêtres, de moines et d'anciens pillards devenus seigneurs et chevaliers.

Selon les documents maçonniques anglais — et, en particulier, les Illustrations of Masonry du fr∴ Pres­ton, il paraîtrait qu'en l'an 287, le général Carausius, proclamé empereur par les légions romaines d'Angleterre, aurait mis à la tête des Maçons de cette contrée son intendant Albanus, plus connu sous le nom de Saint-Albans, qui était chrétien et qui, seize ans plus tard, fut condamné à mort, en vertu d'un Édit de Dio­clétien relatif aux Chrétiens. Or, l'Histoire profane enseignée dans les écoles de la Grande-Bretagne nous raconte que le général Carausius, qui était Flamand et s'était beaucoup distingué dans la guerre contre les paysans gaulois appelés Bagaudes, avait, précisément en 287, corrompu ses troupes et joint l'usur­pation à la désobéissance aux lois de l'Empire romain.

Ce fait montre que la Corporation maçonnique anglo-romaine, à la tête de laquelle Carausius mit Saint-Albans, était fortement traversée par des éléments chrétiens, et appuie d'une manière solide ce que je disais tout à l'heure relativement aux Cor­porations de la Rome païenne mentionnées par le fr∴ Clavel.

Au reste, devant l'Édit de Dioclétien, le fr∴ Rebold constate que les Chrétiens, en grand nombre dans la Confraternité maçonnique, se réfugièrent en Écosse et aux Iles orcadiennes, où ils importèrent le Christianisme et l'architecture chrétienne[9].

Le fr∴ Preston, de son côté, s'exprime ainsi, par­lant de la période qui suivit la chute de l'Empire ro­main :

Après le départ des Romains de la Bretagne, entre 411 et 426, la Maçonnerie ne progressa que lentement, à cause des irruptions des Pictes et des Écossais, irruptions qui obligèrent les habitants méridionaux de l'Ile à solliciter le secours des Saxons... Les Saxons augmentant en nombre, les indigènes bretons tombèrent dans l'obscurité et subirent leur supériorité et leur juridiction. Ces grossiers et ignorants païens, méprisant tout, hormis la guerre, donnèrent bientôt le coup final à tous les restes de science ancienne qui avaient échappé à la furie des Pictes et des Écossais. Ils continuèrent leurs dépréda­tions avec une rigueur effrénée, jusqu'à l'arrivée de pieux prédicateurs venus du pays de Galles et de l'Écosse ; et alors, beaucoup de ces sauvages ayant embrassé le Christianisme, la Maçonnerie prit quelque vogue et des Loges furent de nouveau formées ; toutefois, celles-ci, étant sous la direction d'étrangers, furent rarement convo­quées et n'atteignirent jamais aucun degré de considé­ration ou d'importance. La Maçonnerie continua à décliner jusqu'en 557, époque à laquelle Augustin, accompagné de quarante nouveaux moines parmi lesquels les sciences avaient été conservées, vint en Angleterre. Au­gustin avait reçu du pape Grégoire le pouvoir de bapti­ser Ethelbert, roi de Kent, et fut par nomination de ce­lui-ci, le premier archevêque de Cantorbery.

Observons que ce n'est pas en 557, mais en 596, que saint Augustin, auquel furent adjoints quarante bénédictins du monastère de Saint-André-de-Rome, fut envoyé en Angleterre par Grégoire 1er, surnommé le Grand. C'est en 597, qu'eut lieu la conversion d'Ethelbert, conversion d'autant plus aisée à mener à bonne fin que ce prince était marié à la fille du roi de France Caribert, laquelle était chrétienne. Étant passé en France pour y conduire des chantres romains et s'y faire consacrer évêque, Augustin revint en Angle­terre, où il établit des évêchés dont il devint le métropolitain avec l'usage du péplum. Alors sur l'ordre du Pape, au lieu d'abattre les temples anglais, il les changea en églises.

Continuons à citer le fr∴ Preston :

Augustin et ses associés propagèrent les principes du Christianisme parmi les habitants de la Bretagne, et, grâce à leur influence, en un peu plus de soixante ans, tous les rois de l'Heptarchie furent convertis. La Maçon­nerie prospéra sous le patronage d'Augustin et beaucoup d'étrangers vinrent en Angleterre, qui y introduisirent le style gothique de construction. Ce moine semble avoir été un zélé protecteur de l'architecture ; il parut à la tête de la Fraternité en fondant la vieille cathédrale de Cantorbery en 600, celle de Rochester en 602, de Saint-Paul en 604, et de Saint-Pierre à Westminster en 605, ainsi que beaucoup d'autres. Plusieurs palais et châteaux furent construits sous ses auspices ; de même que quel­ques autres fortifications sur les frontières du Royaume.

Quelques Maçons experts, qui étaient arrivés de France en 680[10] , se formèrent en Loge sous la direction de Bennet, abbé de Wiral, lequel, bientôt après, fut nommé par Kenred, roi de Murcie, inspecteur général des Loges et surintendant des Maçons.

Durant l'Heptarchie, la Maçonnerie se maintint dans un faible état ; mais, en l'année 856, elle reprit une vi­gueur nouvelle sous le patronage de saint Swithin, le­quel fut employé par Ethelwolph, le roi saxon, à réparer quelques pieuses maisons ; à dater de ce temps, elle s'améliora graduellement jusqu'au règne d'Alfred, com­mencé en 872, époque où elle trouva dans la personne de ce prince un protecteur zélé[11] .

Eh bien, Ethelwolph, second roi de la 3e dynastie d'Angleterre, l'Histoire profane nous le montre comme ayant offert à Dieu la dixième partie de ses états ; il alla à Rome, sous le pontificat de Léon IV, et rendit tous ses états tributaires du Saint-Siège, chaque famille étant tenue de payer le denier de Saint-Pierre[12] . Quant au roi Alfred, surnommé par le fr∴ Preston « protecteur zélé de la Maçonnerie », c'est le Pape Léon IV lui-même, qu'il avait vu deux fois à Rome dans sa jeunesse, qui le choisit pour succéder au trône de la Bretagne, dont il expulsa les Danois ; et ce fut précisément en 872, ayant été initié Maçon, qu'il entre­prit d'ériger cinq évêchés nouveaux. A sa mort, survenue en 900, son fils Édouard-l'Ancien prend la suite de ses affaires, et le beau-frère de ce dernier prend le gouvernement de la Maçonnerie. En 924, nous assure le fr∴ Bazot, des Maçons français — il y en avait donc ? — engagent le roi Athelstan, bâtard d'Édouard-l'Ancien qui vient de mourir, et, par conséquent, usurpateur au préjudice de ses frères légitimes, à rassembler les Maçons et à former une Loge[13] ; les documents anglais, eux, complètent cette information, en nous apprenant qu'en 926 Athelstan nomme son frère Edwin Patron des Maçons et accorde à ceux-ci le droit de se réunir annuellement en Grande Loge à York[14] . Puis, d'après le fr∴ Preston, de vieux manuscrits en grec, latin et autres langages, sont alors employés à l'élaboration d'une Charte royale en faveur de la Maçonnerie.

Cette Charte, qu'on n'a connu que très tard, et dont l'authenticité a été niée par des Maçons célèbres, aurait porté ce qui suit :

1° Votre premier devoir est de révérer Dieu avec sin­cérité et de vous soumettre aux lois des Noachites, parce qu'elles sont les divines lois auxquelles tout le monde doit se soumettre. Pour cette raison, vous devez éviter les doctrines fausses et offensantes envers Dieu ;

2° Vous devez être fidèles à votre Roi, sans trahison et obéir à l'autorité constituée, sans déception, partout où vous pouvez vous trouver, à l'effet que la haute trahi­son vous soit inconnue ; mais si vous en êtes avertis, vous devez immédiatement en informer le roi.

On raconte sans preuves, et pour égarer les chercheurs, qu'une copie de cette Charte, écrite au XVe siècle, copie qui ne prouverait d'ailleurs pas l'authenticité du document, aurait été en la posses­sion du célèbre Élias Ashmole, lequel a oublié d'en parler dans son Diary. Mais cette copie, pas plus que la Charte originale elle-même, n'a jamais pu être pro­duite, pour cette raison, dit-on, que l'une et l'autre auraient été détruites, soit lors de la Révolution de 1648, soit en 1720, à un moment où les innova­teurs de 1717 en auraient eu précisément le plus be­soin.

On vient de voir que, dans la Charte en question, signalée en 1725 par le fr∴ Anderson, ministre pres­bytérien, il n'est pas question de la « Sainte Église ». Eh bien, cette particularité me prouve, à moi, que ce document, s'il a existé, n'a été détruit que parce que son véritable contenu aurait rendu impossible la politique des fondateurs de la Maçonnerie de 1717, car — il faut tout dire quand on fait de l'histoire — le roi Athelstan, l'auteur de la Charte présumée, était un simple vassal du Saint-Siège, auquel il payait ponc­tuellement la dîme, et il avait dû apprendre, lorsqu'il lui fut permis d'usurper la couronne que, selon les volontés de l'Église, la Maçonnerie devait « relever directement et uniquement des Papes ».

Bien mieux : les documents anglais nous disent qu'Edwin, frère d'Athelstan, avait été placé à la tête de la Grande Loge d'York, et que, deux ans plus tard, Edgar, autre frère du roi, en était le Grand-Maî­tre. Eh bien, ce fameux Edgar, Grand Maître de l'Or­dre, est le même homme qui, devenu roi et ayant passé la Grande-Maîtrise au moine Dunstan, abbé de Glastonbury et futur archevêque et légat du Saint-Siège, transforma son royaume en une sorte de pro­vince papale — ce qui fait voir clairement que la Charte de 926, détruite si à propos et à laquelle les innovateurs de 1717 ont fait dire ce qu'ils ont voulu, n'a pas dû parler uniquement de la fidélité à Dieu et au roi.

Cependant, il ne paraît pas qu'après la mort d'É­douard le Confesseur, qui fut aussi le Protecteur des Maçons, le Saint-Siège ait eu une grande confiance dans le choix que les seigneurs anglais firent de Ha­rold II pour succéder à leur souverain, car la Provi­dence romaine, inspirée par le pape Alexandre II et le cardinal Hildebrand, futur Grégoire VII, se vit obligée de susciter un singulier chrétien, Guillaume le Bâtard, pour aller mettre les perturbateurs à la rai­son, unifier la contrée et se faire sacrer roi, en 1066, dans l'abbaye de Westminster, par Aldred, archevê­que d'York.

A ce sujet, le fr∴ Alfred Rambaud a écrit :

Tous ceux qui firent partie de l'armée conquérante eurent part aux dépouilles des vaincus. Des prêtres fran­çais occupèrent les sièges épiscopaux, des moines fran­çais furent abbés des couvents, des bourgeois français s'installèrent dans les villes, des seigneurs et des cheva­liers français reçurent en fiefs des terres. De simples paysans français devinrent seigneurs, eurent des châteaux[15].

J'ignore pourquoi le fr∴ Rambaud n'a pas ajouté, en utilisant les travaux du fr∴ Preston, que « Guillaume, patron des maçons, introduisit en Angleterre beaucoup de maçons experts français » et qu' « il nomma l'évêque Gandulphe, de Rochester, ainsi que Roger de Montgomery et le comte de Salisbury, patrons des maçons, lesquels, à cette époque, excellaient dans l'architecture civile et militaire »...

Quoi qu'il en soit, on peut voir, dans ces simples citations, que le service de la « fille aînée de l'Église » n'était pas absolument désintéressé. De plus, le choix de Guillaume le Bâtard ne fut pas heureux pour le peuple anglais. Cet homme fut, disent les historiens profanes, un tyran capricieux, gouvernant avec l'épée plutôt qu'avec le sceptre, et d'une dureté peu commune. Le jésuite Longueval dit de lui qu'il sut tout maîtriser, hormis ses passions, mais qu'il honora et protégea toujours l'Église.

A propos de la Grande Loge d'York fondée par Athelstan, le fr∴ Bésuchet raconte avec enthousiasme que « plusieurs souverains, des princes et un grand nombre de seigneurs y furent admis » — ce qui donne bien à penser qu'en ce temps-là encore l'ordre n'était pas formé seulement de gâcheurs de mortier, et que ce n'était pas pour le plaisir unique de voir construire des bâtiments que d'aussi grands person­nages demandaient à revêtir l'auguste tablier des Essé­niens, de ces Esséniens dont la philosophie éclec­tique et charitable n'avait jamais laissé soupçonner l'existence d'une architecture militaire.

Mais voici le fr∴ Bazot qui, parlant de la même époque, nous dit à son tour :

Des maçons nombreux et illustres de toutes les nations sortirent de ce foyer de lumière ; ils se répandirent et conférèrent les grades qu'ils possédaient ; ce fut ainsi que Pierre l'Ermite fut initié[16] ...

Pour le coup, me voilà satisfait : la Franc-Maçon­nerie et l'Église romaine sont une seule et même chose au moment de la première Croisade, aussi bien qu'à l'époque où, selon des documents certains, les Papes accordaient des diplômes à l'Association uni­verselle qu'ils avaient trouvée établie par les moines de l'Église primitive. Le prétexte de la première Croi­sade est qu'il faut sauver le tombeau de Jésus des mains des Infidèles ; la vérité, dépouillée des ori­peaux dont on l'a revêtue, est que l'on veut s'assurer la route terrestre des bonnes épices de l'Inde. Plus tard, le succès n'ayant pas répondu aux espérances, on découvrira la route maritime du cap de Bonne-Espérance, découverte par les Grecs cinq siècles avant notre ère, et l'on ne pensera pas plus alors à reprendre le tombeau du Sauveur que si les infidèles, qui le détiennent encore, n'avaient jamais existé.

Pendant quelques années, la Maçonnerie anglaise continue ses travaux visibles et invisibles, et le fr∴ Bésuchet, toujours en verve quand il a ce qu'il appelle de grands noms à citer, nous fait connaître quelques-uns des Protecteurs de l'Ordre durant une certaine période qu'il commence à Henri 1er [17].

Je vais suivre cet auteur ligne par ligne, mais en le complétant au moyen des documents maçonniques anglais, des travaux du fr∴ Preston et autres savants maçons, et des classiques de l'Histoire profane ensei­gnée dans les écoles primaires du Royaume-Uni. Ce sera sans doute monotone, diffus, broussailleux, at­tendu qu'il ne s'agit que d'une énumération de faits, historiques peu récréatifs ; mon excuse est que ces faits aisément vérifiables, ont besoin, pour éclairer les intelligences, de sortir de l'oubli et d'être mis en relief à côté de ceux qui sont particuliers à la Maçonnerie.

Ne faisons que mentionner Guillaume le Roux 1er et son frère qui, tous deux fils de Guillaume le Bâtard, furent l'un après l'autre Protecteurs de la Maçonnerie, dont le Grand-Maitre était, en 1125, le fr∴ Henri de Blois, chanoine de l'église Sainte-Croix, près de Winchester.

Arrivons en 1135. Ici, nous nous trouvons en pré­sence d'un nouvel usurpateur, Étienne de Blois, frère du Grand-Maître, devenu évêque de Winchester. Cet Étienne de Blois, neveu du fr∴ Henri 1er, s'em­pare des trésors de la couronne déposés dans la cathé­drale de cette ville et en donne une partie au pape Innocent II, afin d'obtenir de celui-ci une Bulle con­sacrant le vol et l'usurpation ; puis, après avoir été sacré par l'archevêque de Cantorbery, il accorde de nouveaux privilèges aux maçons, à la tête desquels il place un templier, le fr∴ Gilbert de Clare, marquis de Pembroke. En 1155, Henri Il, fils de Geoffroy Plantagenet, comte d'Anjou, succède à Étienne et protège à son tour l'Ordre maçonnique, dont la Grande Maîtrise, en 1160, est occupée par le fr∴ Richard Cœur de Lion, déjà Grand-Maître des Templiers ; à ce fr∴ Henri II, le pape Adrien IV, né sujet anglais, fait cadeau de l'Irlande et de ses habitants ; cependant le monarque croit pouvoir un jour disputer avec le Saint-Siège, qui est le centre dont il relève, mais il finit par se voir obligé d'aller faire amende honorable, nu-pieds, dans l'église de Cantorbery, où il s'était plu à faire assassiner l'archevêque Thomas Beckett. En 1199, l'Ordre maçonnique a pour protecteur, au temps de la Grande-Maîtrise, de Pierre de Colechurch, le roi Jean sans Terre, usurpateur de la couronne, assassin de son neveu Arthur et successeur de Richard Cœur de Lion ; Jean sans Terre, protecteur des maçons an­glais alors qu'il était haï de toute l'Angleterre, est ce fameux souverain qui, conseillé par ses barons, alla s'agenouiller aux pieds du Légat Pandolphe pour faire donation de son royaume et de l'Irlande au pape Innocent III, dont il se déclare le vassal et que les Templiers ont reconnu pour avoir été un des leurs[18]. En 1216, le fils de Jean sans Terre, Henri III, prend la succession au trône et au protectorat maçonnique ; en 1219, le fr∴ Pierre de Rupibus, évêque de Win­chester, est le Grand-Maître de l'Ordre ; en 1234, cette dignité passe à Geoffroy Fitz-Peter et ensuite au fr∴ Guillaume Marshall, comte de Pembroke ; et j'observe que ce comte de Pembroke, qui avait partagé la tutelle du Roi avec le Légat du pape Hono­rius III, était un Templier et distribua des terres aux Templiers ; j'observe encore qu'en 1235, Henri Ill, non content de l'argent qu'il extorquait aux Juifs, contracta un considérable emprunt auprès des Tem­pliers[19] ; j'observe enfin que l'Histoire profane anglaise dit de ce roi qu'il fut un coquin vulgaire, que sa cour regorgeait de voleurs, et qu'il ruinait ses peu­ples pour enrichir ses favoris. En 1272, le protectorat maçonnique passe au fils de Henri III, Édouard 1er, lequel se trouve en Palestine d'où il revient en 1274 ; sous ce règne, la Grande-Maîtrise échoit à Giffard, archevêque d'York, au templier Gilbert de Clare, au seigneur de Mont-Hermer, primogéniture de la famille des Montagu, et, durant cette période, les Juifs ont à souffrir les plus horribles persécutions : on en pend jusqu'à 280 en un seul jour, et les biens de toute la population israélite, expulsée du pays au nom d'un Dieu de tolérance et de paix, sont confisqués au profit de l'auguste protecteur de la Maçonnerie, en faveur de laquelle le pape Nicolas III renouvelle les privi­lèges accordés par plusieurs de ses prédécesseurs et en particulier par Benoît IV en 614. En 1307, c'est le roi Édouard II, successeur d'Édouard 1er , qui protège l'ordre des francs-maçons, dont le Grand-Maître est alors Gauthier Stapleton, évêque d'Exeter, et, peu après un synode tenu à Londres au moment du con­cile de Vienne, ce monarque croit intelligent de sup­primer l'Ordre des Templiers dans son Royaume, tandis que le Parlement dispose de leurs biens en faveur d'Aymer de Valence, comte de Pembroke, et des Frères Hospitaliers connus alors sous le nom de Chevaliers de Rhodes et, depuis 1525, sous celui de Chevaliers de Malte[20] ; la fin d'Édouard Il mérite d'être notée : une révolte organisée par sa femme eut lieu, on le condamna à la prison perpétuelle, une phrase latine de l'évêque de Winchester Adam lui valut une sentence de mort, et, raconte l'Histoire profane, il finit comme il avait commencé, en lâche, et on lui enfonça un tisonnier rougi dans le fondement.

Lors des dernières Croisades, les Templiers avaient appris en Orient le secret des initiations antiques ; ils avaient appris que tous les cultes répandus dans le monde et ayant au fond la même morale et le même but, formaient en réalité la religion universelle ; ils avaient pu voir alors que l'éclectisme des Esséniens et l'esprit de l'Évangile étaient dénaturés ; ils avaient sans doute aussi, dès 1155, date de leur apparition à la tête de la Maçonnerie anglaise, introduit de nou­velles idées parmi les maçons et déjoué la politique de certains Royaumes. De là, les faux prétextes qui furent invoqués pour occasionner leur ruine. Quand on veut tuer son chien, on commence par dire qu'il est enragé. Quand on jugea prudent et nécessaire de se débarrasser des Templiers, on apprit à la chrétienté que, durant leurs initiations, les candidats étaient tenus de fouler aux pieds la croix et de cracher sur l'image du Christ, et, naturellement, on se garda bien d'ajouter que ceci n'était qu'une épreuve destinée à connaître le caractère des postulants. Horreur ! ils adoraient une idole à deux cornes appelé le Baphomet — seulement, on ne fit pas connaître la double étymologie grecque du mot baphomet, afin d'éviter qu'on ne sût qu'il s'agissait d'immersion, et de sagesse ou science, c'est-à-dire du baptême de sagesse... Mais n'anticipons pas et revenons aux grands noms que le fr∴ Bésuchet a été si fier de marquer au Ta­bleau d'honneur de la maçonnerie.

Cet auteur arrête sa liste à Édouard II ; mais le fr∴ Bazot, évidemment mieux instruit, la continue en citant à son tour Édouard III, Henri V, Henri VI, Henri VII et... Élisabeth[21] . Nous compléterons Bazot comme nous avons complété Bésuchet.

Édouard III, mis sur le trône par des seigneurs en rébellion contre son père, est ce souverain qui, après avoir fait emprisonner sa mère, laquelle mourut après vingt-huit ans de tortures sans nom, crut un beau matin se réveiller roi de France et fit la guerre aux Français et aux Écossais, sans tenir compte d'un traité par lequel il avait reconnu l'indépendance de ces der­niers. Un évêque de Winchester gouverne alors la Maçonnerie anglaise, et, en 1334, les privilèges accor­dés aux maçons sous le règne précédent par le pape Nicolas III, sont renouvelés par le pape Benoit XII. Seize ans après, en 1350, le roi Édouard III renouvelle ou révise les anciens statuts maçonniques. Eh bien, il existe au British Museum un manuscrit maçonnique en vers, datant de cette époque, et qui, outre la légende relative à la Maçonnerie, nous révèle 15 articles relatifs aux maîtres et 15 points concer­nant les maçons. N'en détachons que les paragraphes suivants, les seuls qui nous intéressent :

« 1. — Le maçon doit bien aimer Dieu et la Sainte Église et son maître et ses compagnons ;

« 14. — Il doit être fidèle à son seigneur le Roi » ...

Il me paraît certain que si ce manuscrit était tombé entre les mains des innovateurs de 1717, il eût subi en 1720 le même sort que la charte de 926, car on ne peut mieux élaguer le romanisme d'une pièce officielle qu'en la brûlant et en lui faisant dire ensuite tout ce qu'on se plaît à imaginer.

Cependant, quand on étudie de près Édouard III, on a l'impression qu'il eût bien voulu, contrairement aux volontés papales, avoir une maçonnerie pour son avantage particulier ; mais il ne semble pas que cela ait beaucoup gêné le fr∴ évêque Guillaume de Wikeham, alors une des lumières de l'Ordre[22].

Richard II et Henri IV ne sont pas cités par le fr∴ Bazot : c'est que cet auteur n'a pas suivi com­plètement le fr∴ Preston qui, d'accord avec les docu­ments maçonniques anglais, nous certifie que ces deux rois furent de zélés maçons.

Sous le premier, petit-fils et successeur d'Édouard Ill, le fr∴ Guillaume de Wikeham, évêque de Win­chester, puis les fr∴ Henri Yevelé et Simon Langham continuent tour à tour la grande-maîtrise, dont l'auguste protecteur n'est, au dire de l'histoire profane, qu'un extravagant pantin méritant d'être détrôné par son cousin de Lancastre et assassiné par les soins de l'homme à qui devait profiter ce crime.

Devenu roi sous le nom de Henri IV, le duc de Lancastre, parjure et assassin, nomme le comte de Surrey Grand-Maître des maçons, et l'on raconte aux élèves des écoles primaires anglaises que, pour for­tifier sa dynastie et apaiser sa conscience, ce souve­rain prit plaisir à faire brûler vifs les hérétiques avant et après avoir lancé contre eux l'Édit De Haeretico comburendo.


[1] L'évêque Jean de Salisbury a dit la même chose. Voir Policrat., V, 3.

[2] Mehmet II le Conquérant ou Mehmed II « Fatih » (en turc : Fatih Sultan Mehmet Han) fut le septième sultan de l'Empire ottoman. (Note de la Rédaction, septembre 2022)

[3] Défense de l'Esprit des Lois, chap. V, note 5.

[4] Histoire de la civilisation française, Alfred RAMBAUD, 1888, vol. I, p. 74-75.

[5] CLAVEL, p. 83.

[6] CLAVEL, p. 82.

[7] CLAVEL, pp. 83-84.

[8] Histoire générale de la Franc-Maçonnerie, par le fr∴ E. Rebold, p. 102, 1851.

[9] REBOLD, Histoire générale de la Franc-Maçonnerie. p. 96

[10] Il y avait donc des Maçons en France à cette époque ?

[11]Illustrations of Masonry, Preston, 1781, pp. 169, 170, 171.

[12] Auparavant, la dîme n'était payée que par les habitants du Westsex et du Sussex. Elle avait été établie par Ina, roi saxon, qui mourut moine. La dîme ne cessa pas, depuis lors, d'être payée jusqu'à la rupture de Henri VIII.

[13] Manuel du Franc-Maçon et Guide des Officiers de Loge, vol. 1, p. 64.

[14] Notons qu'Edwin fut accusé d'avoir tramé une conspi­ration contre Athelstan, et que celui-ci provoqua la mort de son frère par suicide.

[15] Histoire de la civilisation française, Alfred RAMBAUD, 1888, vol. I, p. 181.

[16] Manuel du Franc-Maçon, etc., vol. I, p. 63. — A la p. 64, Bayot déclare — ce qui est exact — que des documents histo­riques confirment ce qu'il avance.

[17] Précis hist. de la Franc-Maç., DÉSUCHET, 1829, I, pp. 17-18.

[18] C'est Innocent III qui prêcha la croisade albigeoise et c'est le Templier Simon de Montfort qui l'exécuta. Ce dernier, après le massacre des Albigeois, poussa à la fondation de l'ordre des Dominicains, qu'il chargea ensuite du Saint-Office de l'Inquisition, établie à cette époque.

[19] Old and New London, vol. I, p. 152.

[20] Old and New London, vol. I, p. 152, et Valsingh. in Edward II et Ypodigne. neuslr. apud Dupuy.

[21] Manuel du Franc-Maç. et Guide des officiers de Loge, BAZOT, Vol. I, p. 65.

[22] Robert de Barnham fut aussi grand-maître en 1375.

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jeudi 21 novembre 2024