Nouvelles réflexions sur l’affaire de Rennes-le-Château
Introduction
Donner une bibliographie exhaustive à propos du «dossier Rennes-le-Château» nous obligerait à y consacrer un nombre non négligeable des pages de L'Initiation. Et encore faudrait-il sans doute y ajouter des livres qui, sans qu'on y ait songé, seraient susceptibles de rejoindre l'énigme par la bande. C'est ainsi qu'un roman tardif et peu connu de Jules Verne : Claris Barbentor 1, contiendrait, paraît-il, des indications insolites mais précises, bien inattendues, sur l'affaire. De toute manière, on y trouve - mais transposés d'une forte déconcertante manière - une série de noms de lieux précis particuliers à la région de Rennes-le-Château, d'Arques et du Bugarach 2. Nous avouons être restés perplexes.
Evidemment, nous ne pourrions faire autrement que de signaler au départ les deux livres - vrais classiques en la matière - de Gérard de Sède : L'or de Rennes ou la vie insolite de Bérenger Saunière, curé de Rennes-le-Château (Julliard, 1967, réédité par «J'ai Lu» dans la collection «L'aventure mystérieuse») et : Rennes-le-Château (Robert Laffont, 1988). Et malgré que - surtout pour le second - je ne partage pas forcément, loin de là, tous les points de vue défendus par cet auteur, bien que j'admire tant son érudition inlassable.
1 Le seul, chose curieuse, à n'avoir pas été réédité dans la série complète chez Hachette de ses ouvrages au Livre de poche.
2 La montagne qui domine cette zone des Corbières.
Le curé qui devint milliardaire
Mais quelle fut donc cette fameuse affaire de Rennes-le-Château qui a fait depuis tellement couler d'encre. Celle qui suscita naguère un feuilleton télévisé : L'or du diable lequel bénéficia d'un taux d'écoute enviable sur l'une des grandes chaînes françaises.
On l'énoncerait ainsi pour tenter de réduire le mystère à sa plus simple expression : l'incroyable histoire d'un petit curé de campagne, Bérenger1 Saunière (1852-1917) qui, d'une manière bien énigmatique, accéda au rang de privilégié de la fortune, milliardaire en centimes de maintenant. Qu'en penser ?
Il se créera, au fil des ans, une chasse au trésor - avouée puis clandestine- qui débordera même la France. Au début des années 70, ne verra-t-on pas des Allemands - membres d'une association qui se réclamait de la survivance templière - s'efforcer d'acquérir le maximum de terrains sur la commune de Rennes-le-Château, dans l'ardent espoir de réussir à mettre la main sur tout ce qui pourrait subsister du magot.
L'abbé Saunière aurait-il réellement trouvé un fabuleux trésor? Deux étapes décisives seraient à souligner dans sa carrière. Tout d'abord, sa découverte - lors des travaux de réparation effectués dans l'église paroissiale - de parchemins anciens que le curé montrera à monseigneur Billard (l'évêque de Carcassonne) lequel lui payera le décisif voyage à Paris, en 1891.
Il y aura ensuite les si mystérieuses fouilles nocturnes fort discrètes auxquelles en la seule compagnie de sa fidèle servante, Marie Denardaud, l'abbé Saunière procédera dans le petit cimetière paroissial de Rennes-le-Château. Une tombe l'attirera tout spécialement - sépulture qu'il met (selon ses propres termes) en relation avec ce qu'il nommera le «Secret» (avec un «S» majuscule). Mais quelle tombe ? Une double sépulture féminine en fait. Avec, d'une part, la pierre tombale de Marie de Nègre d'Ables, épouse de François d'Hautpoul, marquis de Blanchefort et seigneur de Rennes-le-Château. Le curé s'acharnera à effacer l'épitaphe de cette noble dame décédée en 1781 qui comportait la formule latine (que nous aurons à retrouver tout-à-l'heure sur un tableau célèbre) : Et ego in Arcadia (Et moi aussi en Arcadie).
Par la suite, quelques années plus tard, Bérenger Saunière effacera également les inscriptions gravées sur la pierre tombale de la dernière descendante (le curé l'avait-elle bien connue?) de la famille de Blanchefort. Au sein de celle-ci, il était de tradition, de génération en génération, de transmettre un fabuleux secret familial à l'héritier mâle du nom. Faute d'en avoir un, la dernière dame de Blanchefort l'aurait donc - du moins, peut-on le supposer - confié à son confesseur, l'abbé Bigou. Ce secret aurait-il été relatif au fameux trésor de Rennes-le-Château. Je le penserais volontiers. Cet or du diable (pour reprendre le titre accrocheur de la fameuse émission télévisée) recouvrirait-il une réalité et non un mythe ou une fabulation ?
1 Prénom qui, précisons-le, s'écrit avec un «e» et nons avec un «a» comme Béranger. C'est en 1885, à 33 ans, qu'il devint curé de Rennes-le-Château.
Le trésor
Sans nul doute possible, l'abbé Béranger Saunière - ce petit curé sans fortune qui avait même fait l'expérience d'une misère digne mais bien réelle - ne fut pas un bluffeur. On a des traces palpables et bien en évidence (la villa Béthania, l'église paroissiale entièrement refaite selon un nouveau plan...) que sa richesse sans fin s'offrit tout d'un coup à sa portée. Le fameux trésor de Rennes-le-Château, qui a tant fait couler d'encre et qui nourrit encore aujourd'hui encore bien des fabuleux espoirs, n'est donc pas une invention, conclurait-on aussitôt. Et ce trésor fabuleux, l'abbé Saunière y aurait généreusement puisé et sans pour cela l'épuiser. Marie Denardaud (la fidèle servante du curé - elle fut davantage encore pour lui...) ne déclarera-t-elle pas un jour aux braves paroissiens de Rennes-le-Château : "Le village est construit sur de l'or."
De son côté, la sœur de lait de Marie Denardaud relatera avoir vu un jour dans les caves de la villa Béthania toute une série de lingots alignés sur une étagère.
L'actuel village de Rennes-le-Château se trouve bâti à l'emplacement d'une cité post-romaine, Rhedæ, qui avait été rien moins que la capitale du royaume des Wisigoths, cette puissante tribu germanique rivale des Francs.
A partir de l'année 1896, on voit cet humble prêtre d'une modeste paroisse rurale des Corbières, originaire d'une famille très modeste, disposer d'inexplicables ressources financières. Il fait reconstruire complètement l'église de Rennes-le-Château suivant ses plans personnels fort coûteux. Quant à lui, le voici qui, pour compléter son presbytère entièrement remis à neuf, se fait bâtir une luxueuse maison : la villa Béthania (ainsi nommée d'après la ville biblique de Béthanie), que surmonte la tour Magdala dans laquelle l'abbé Saunière installe son bureau et sa bibliothèque. En cette propriété, le voici qui invite des hôtes de marque hébergés de la manière la plus fastueuse qui soit (tant pour le logement que pour les repas). Parmi eux, il y aura la grande cantatrice Emma Calvé (créatrice du rôle féminin principal dans Pélléas et Mélisande de Claude Debussy), le secrétaire d'état aux beaux-arts Dujardin-Baumets et un authentique membre de la famille impériale d'Autriche : l'archiduc Jean de Habsbourg qui, pour les habitants de Rennes-le-Château, se faisait appeler «monsieur Guillaume».
Loin de s'assagir aux approches du troisième âge, l'abbé Saunière verra plus grand encore : faire installer l'eau courante sur tout le territoire de la commune, faire ériger dans sa propriété une nouvelle tour fort importante qui aurait eu 70 mètres de haut. Seule la mort (suite à une hémorragie cérébrale) l'empêchera de réaliser ses nouveaux projets.
Il serait impossible d'éluder la question claire et nette : pour pouvoir se montrer aussi dépensier, d'où venait l'argent du curé ?
Non seulement le trésor de Rennes-le-Château ne serait pas mythique mais - croit-on d'ordinaire - le fameux curé n'aurait pas du tout réussi à l'épuiser. Des générations de fouilleurs auront déjà tenté leur chance et le font encore en douce, malgré l'interdiction en bonne et due forme de procéder à ces fouilles sauvages.
Un point serait à souligner : si Rennes-le-Château n'est plus, et depuis longtemps déjà, qu'un village, le site fut un temps - après la période des grandes invasions barbares - occupé jadis par une véritable ville, Rhedæ, devenue la capitale du royaume des Wisigoths, peuplade germanique longtemps maîtresse de l'Espagne ainsi que d'une grande partie de la Gaule méridionale. D'où la thèse la plus répandue à propos du trésor de Rennes-le-Château : celui-ci aurait consisté en les fabuleuses richesses raflées à Rome lors du sac de la cité éternelle par les troupes d'Alaric, roi des Wisigoths, le 24 août 410. Ces immenses biens auraient été transmis à toute la lignée de ses descendants
En effet, Alaric aurait fait rafler par ses hommes toutes les richesses prodigieuses (fruits d'inlassables pillages sans vergogne) ramenées au Capitole par chaque général romain triomphateur au fur et à mesure des conquêtes successives réalisées par les légionnaires. L'une des pièces de résistance (si l'on peut dire) de ces énormes butins entreposés au Capitole consistait - point important - dans les objets saints et précieux entre tous du temple de Jérusalem mis à sac en 70 après J.-C. par les Romains.
Mais, s'il s'agissait donc à Rennes-le-Château de ce «trésor des Wisigoths», un problème se poserait : l'abbé Saunière aurait été obligé pour en faire expertiser les composantes venues mystérieusement en sa possession de recourir à un ou plusieurs spécialistes chevronnés et cela aurait fini par se savoir dans le monde international des grands antiquaires.
Supposons au contraire que le curé de Rennes-le-Château ait pu puiser à volonté dans une énorme réserve constituée essentiellement de barres et lingots d'or massif. Il n'aurait alors eu aucun mal à les écouler peu à peu de la manière la plus discrète qui soit (règlements en liquide ou en pièces d'or au cours monétaire de la Belle Epoque). Au château de Bézu 1, village situé dans la région voisine de Rennes-le-Château, les Chevaliers du Temple s'étaient établis. Pourquoi ne pas supposer que l'abbé Saunière ait trouvé l'accès à l'une des caches majeures des plus grandes réserves bancaires dudit Ordre? Si les moines chevaliers certes prononçaient, à titre personnel, le vœu de pauvreté, l'Ordre du Temple dans son ensemble était au contraire - en tant que collectivité - d'une richesse immense. N'y avait-il pas dans ses activités toute une face bancaire à l'échelle de tout le monde méditerranéen? Certes, Philippe le Bel ne put mettre la main sur le fabuleux butin qu'il escomptait. Et pour cause, dirions-nous. Des instructions discrètes n'avaient-elles pas pu être données à temps pour, devançant l'intrusion des hommes du roi dans les commanderies, mettre en lieu sûr les réserves bancaires les plus importantes? Et celles-ci n'auraient-elles pu être constituées, par delà même le numéraire courant en pièces monnayables, par des caches abritant force barres d'or (l'équivalent de nos modernes lingots).
Il serait fort tentant d'imaginer que le curé de Rennes-le-Château ait eu accès à l'une de ces caches bancaires templières parmi les plus importantes (si ce n'est même la plus considérable).
Comment retrouver l'accès au trésor dans lequel Bérenger Saunière aurait pu si copieusement puisé? Aujourd'hui encore, il ne manque pas de gens qui le souhaiteraient. Comment faire? Les pistes éventuelles à suivre se révéleraient multiples. Suivant certains auteurs, le livre à première vue délirant (l'anglais s'y trouve présenté comme langue originelle mère de toutes les autres) de l'abbé Henri Boudet 2, un ami de Saunière, contiendrait des clefs codées susceptibles de dévoiler l'emplacement du trésor. Il est intitulé : La vraie langue celtique et le cromlech de Rennes-les-Bains 3.
Il n'est pas jusqu'à un tableau fort célèbre (il se trouve au Louvre) de Nicolas Poussin (1594-1665) : Les Bergers d'Arcadie qui, suivant toute une série d'auteurs qualifiés, contiendrait une courte révélation en rapport direct avec l'énigme de Rennes-le-Château. L'un des personnages représentés désigne, sur un tombeau, la devise : Et in Arcadia ego (Et moi aussi [j'étais] en Arcadie.), celle-là même que l'on retrouverait gravée sur une pierre tombale du petit cimetière sur laquelle l'abbé Saunière s'était acharné à gratter les inscriptions.
Dans la mythologie grecque, le petit fleuve qui coule en Arcadie, pour s'y enfoncer dans les entrailles de la terre, resurgirait - croyait-on - dans l'eau jaillissant de la fontaine d'Aréthuse, en Sicile, sur le site de Syracuse. Cela laisserait-il donc supposer que, pour accéder au trésor de Rennes-le-Château, s'imposerait le franchissement préalable d'une nappe d'eau souterraine ?
Il ne faudrait pas croire que la présence d'un fabuleux trésor dans le secteur ne soit apparu que fort tardivement. Ce n'est nullement le cas. Il y a la mésaventure survenue en 1645 à un berger de Rennes-les-Bains. Se lançant à la recherche hasardeuse d'une brebis égarée, il se trouva accéder par hasard à une vaste cavité souterraine au fond de laquelle étincelaient des monceaux d'or sur lesquels semblaient veiller de nombreux squelettes.
On ne le crut pas ! Mais ne s'agissait-il pas du même trésor dans lequel puisera l'abbé Saunière ?
1 qui n'est plus que ruines.
2 1837-1915.
3 Dans cette petite station thermale voisine de Rennes-le-Château, on trouve un menhir mais pas le moindre cromlech (cercle de dolmens).
Et si le trésor n'avait pas existé ?
Trois explications se sont trouvées hasardées pour expliquer la soudaine fortune de l'abbé Saunière sans l'attribuer à sa découverte effective d'un quelconque fabuleux trésor.
Première hypothèse, la moins reluisante : le curé aurait profité d'une liaison assez durable avec la grande cantatrice Emma Calvé (le fait est certes réel) pour puiser généreusement dans les cachets très importants de celle-ci. L'hypothèse s'écroule tout de suite devant la réalité des faits. Loin de se faire entretenir par Emma Calvé, l'abbé Saunière - au cours de leur liaison - la couvrit de somptueux cadeaux, d'une générosité folle.
Seconde hypothèse : le curé de Rennes-le-Château se serait rempli les poches, des années durant, en se livrant à un juteux trafic de messes réalisé sur une échelle internationale. Or, même en s'y consacrant jour et nuit pendant une vingtaine d'années d'affilée, le curé ne serait jamais parvenu à réunir les sommes énormes lui ayant permis de mener le train de vie d'un privilégié de la fortune. Rappelons que, d'après le droit canon, un prêtre ne pourrait célébrer plus de trois messes par vingt-quatre heures. Quant à supposer qu'il ait tout bonnement encaissé les honoraires par fournées entières et en ne se donnant même pas la peine de célébrer les offices commandés, c'eût été de l'escroquerie pure et simple que l'évêché de Carcassonne n'aurait pas manqué (en attendant les suites judiciaires) de sanctionner d'une manière exemplaire.
La si subite fortune du curé s'expliquerait-elle de manière tout à fait honnête cette fois par l'accumulation de dons généreux ? Il y en eut bien certes tout au départ de sa cure à Rennes-le-Château : la si chaleureuse gratification (3.000 francs or) accordée providentiellement par la comtesse de Chambord, une année avant sa mort. Don grâce auquel l'abbé Saunière avait pu entreprendre les travaux les plus urgents dans son église qui tombait en ruines et menaçait de s'écouler. Mais, par la suite, il serait impossible de trouver d'autres dons analogues et ils eussent dû s'accumuler pour procurer au curé une aussi superbe fortune !
Il est, enfin, une tentative d'explication qui nous entraînerait, elle, dans une sorte de roman d'espionnage remarquablement bien mené. Bérenger Saunière se serait, des années durant, livré à un chantage discret et remarquablement fructueux. De quelle manière donc? Mis, de quelque curieuse manière, au courant d'un secret de toute première importance, il se serait fait payer fort cher son silence.
De quoi aurait-il pu s'agir ? D'un secret d'Etat ? Ainsi, s'expliquerait peut-être l'insolite présence d'un archiduc autrichien parmi les hôtes assidus de la villa Béthania. D'un secret d'Eglise bien embarrassant pour le Vatican? Cela serait l'une des manières d'expliquer la présence à l'entrée de l'église de Rennes-le-Château, entièrement refaite suivant les plans personnels de l'abbé Saunière, de cette formule empruntée à la Genèse (2,67) : «Terribile est locus iste» (Ce lieu est terrible).
D'après un livre ayant connu ces dernières années un énorme succès de librairie : L'Enigme sacrée 1 écrit par trois Anglais 2, le plus Grand des secrets venus à la connaissance de Bérenger Saunière remettrait en cause le contenu même des Evangiles y joignant en prime une bien étrange révélation dynastique française. Jésus ne serait pas mort sur la Croix mais aurait terminé ses jours en Gaule méridionale, plus précisément dans l'actuel secteur de Rennes-le-Château. C'est même son tombeau souterrain caché qui constituerait le secret majeur dissimulé en ces lieux. Il y a plus : Jésus, loin d'avoir vécu en ascète solitaire, était marié avec Marie-Madeleine. Le couple aurait eu plusieurs enfants. Des alliances se seraient ensuite produites avec la lignée royale des Francs, si bien que les aïeux de Clovis auraient eu le sang du Christ coulant dans leurs veines.
Personnellement, je pense qu'il serait aisé de réfuter l'idée même d'une détention par l'abbé Saunière d'un secret d'Etat ou de son analogue au sein de l'Eglise catholique et que cela lui ait permis d'encaisser, par chantages successifs, des sommes dépassant le milliard de nos centimes. Rien moins que ça.
En ce qui concerne la raison d'Etat, peut-on sérieusement imaginer qu'un personnage puisse monnayer son silence à un pareil niveau financier ? On trouverait en haut lieu bien plus rentable (ne nous leurrons pas) de faire discrètement éliminer la personne gênante par un tueur à gages (qu'on ne retrouverait jamais) ou dans un soi-disant accident.
En ce qui concerne un secret touchant au cœur même de l'Eglise, le problème se compliquerait du fait que l'emploi de procédés aussi expéditifs se comprendrait bien plus difficilement que pour une ténébreuse raison d'Etat, tout au moins dans les perspectives actuelles du Vatican bien différentes quand même de ce qui avait été certes autrefois le cas. D'ailleurs, il n'est jusqu'ici rien arrivé de fâcheux (à ma connaissance) aux trois Anglais dont le livre véhiculait sur Jésus des idées si peu conformistes.
1 Editions Pygmalion.
2 Michel Baigent, Richard Leigh et Henry Lincoln.
Un secret d'ordre initiatique ?
Mais, outre l'énigme de sa si étrange et inépuisable fortune, ne serait-il pas possible de créditer l'abbé Saunière de la détention d'un tout autre secret, d'ordre initiatique celui-là ?
Où en découvrir la marque ? Dans l'agencement, la disposition, la décoration mêmes de l'église paroissiale de Rennes-le-Château, telle qu'elle s'est trouvée entièrement rebâtie suivant les intentions voulues par Bérenger Saunière lui-même et personne d'autre.
Première chose à remarquer : la manière dont le pilier qui se trouve à l'entrée de l'église se trouve enfoncé à l'envers, la croix y est donc inversée. Il ne s'agit sûrement pas d'une simple distraction des ouvriers, mais - cela semble clair et net - d'une incitation à savoir au besoin prendre l'inverse des conceptions communément reçues en matière religieuse.
Lorsque l'on pénètre dans l'édifice, impossible de ne pas être frappé par le diable qui supporte le bénitier. Serait-ce dans une intention sacrilège, celle de vouer l'édifice à une adoration délibérée de l'Adversaire comme dans les messes noires ? Sûrement pas. En revanche, on décèlerait volontiers là le symbolisme initiatique tout à fait traditionnel : celui des Principes antagonistes mais complémentaires - Dieu et Satan, la Lumière et les Ténèbres - qui s'affrontent (ce qui s'avère nécessaire pour que l'univers puisse se manifester sur l'échiquier que constitue le cosmos). On aura remarqué dans l'église le dallage qui reproduit le symbole maçonnique bien connu du pavé mosaïque aux cases alternativement blanches et noires.
Dans cette église se trouve un chemin de croix mais dont beaucoup (la majorité, en fait) des stations comportent des anomalies par rapport aux figurations classiques. Mais, outre les implications initiatiques, ne serait-il pas loisible d'y découvrir quelques petites clefs susceptibles de nous pointer la voie qui mènerait au fabuleux trésor ? A cet égard, une indication décisive nous serait donnée sans doute par la verrière placée à l'orient, dans l'église de Rennes-le-Château ? Uniquement au cours de la semaine qui précède l'équinoxe de printemps - entre les 11 et 17 mars donc - le soleil, lorsqu'il traverse le vitrail juste à midi (heure solaire), fait se refléter sur la pierre d'autel cet énigmatique détail particulier : l'image des pommes bleues.
Tout laisse supposer que l'abbé Saunière fut affilié à une société secrète se réclamant de la Rose+Croix. On penserait à l'organisme fondé à Toulouse vers 1850 par le vicomte de Lapasse. Avec plus de probabilité encore, voire de certitude, à l'Ordre de la Rose+Croix du Temple et du Graal, fondé en 1891 par Joséphin (le sâr) Péladan. Mais Claude Debussy et Emma Calvé n'en firent-ils pas eux aussi partie ?
Bérenger Saunière fut-il également franc-maçon ? La preuve en serait difficile à découvrir. Je pencherais pour la loge La Clémente Amitié (de la Grande Loge de France) dont Dujardin-Baumet (le secrétaire aux beaux-arts qui fut l'un des habitués des réceptions de l'abbé Saunière à la villa Béthania) fut à plusieurs reprises le vénérable. Mais, pour une raison évidente (nous sommes à la Belle Epoque où l'entrée en maçonnerie d'un prêtre catholique eut semblé pour le moins tellement incongrue), il reçut la Lumière sans doute sous une identité d'emprunt. Ce qui exclut la possibilité de finir par trouver, sur un registre maçonnique de l'époque la mention : «Bérenger Saunière, prêtre.»
Une autre société secrète, point du tout classique elle, a fait naître énormément de suppositions, voire de rêveries, autour du mystère de Rennes-le-Château : le Prieuré de Sion qui aurait été créé à Jérusalem (d'où son nom) en 1099 puis aurait été réorganisé en 1188 par Jean de Gisors. S'agirait-il d'une fraternité chevaleresque de date ancienne, donc distincte de l'Ordre du Temple bien qu'ayant entretenu un temps des liens discrets avec celui-ci? S'agirait-il d'une organisation toute récente en fait car se manifestant pour la première fois en 1956 dans la Haute Savoie ? Nous n'avons, avouons-le, aucune certitude personnelle à ce sujet...
A l'énigme de Rennes-le-Château, le Prieuré de Sion associe un mythe du Roi légitime perdu. En effet, l'actuel Grand Maître du Prieuré de Sion, Plantard de Saint-Clair, serait descendant en ligne directe de la toute première dynastie française légitime, celle des Mérovingiens, c'est-à-dire celle issue d'une filiation qui remonterait à Clovis et qui (contrairement à ce qu'enseignent les manuels officiels d'Histoire) ne se serait nullement éteinte à l'époque de Pépin le Bref. A ce mythe du Roi perdu s'associe un autre mythe royaliste traditionnel, celui du Grand Monarque appelé à la fin des temps (nous y sommes) à son destin prodigieux. Rappelons la prophétie faite à Clovis par l'archevêque saint Rémy : "A la fin des temps, un descendant des rois francs régnera sur tout l'antique Empire romain." Et Plantard - l'actuel prétendant mérovingien au trône de France - ne serait-il pas, en sachant manier les jeux de mots de la cabale hermétique : le Plant-Ard, c'est-à-dire le Rejeton Ardent (l'une des désignations utilisées par Nostradamus pour désigner le Grand Monarque ?...)
Conclusion
Prononcer ce nom : Rennes-le-Château, c'est nous évoquer tout de suite l'image insolite du petit curé de campagne qui, grâce à sa découverte d'un si fabuleux trésor, devint un jour milliardaire. Et, aujourd'hui encore, l'espoir de pouvoir y puiser à son tour continue - et de plus belle - de fasciner.
Pourtant, et nous l'aurons fort bien entrevu, l'énigme de Rennes-le-Château dépasserait singulièrement l'histoire (vraie ou enjolivée) de son fabuleux trésor. S'y décèlerait l'ombre d'une, voire de plusieurs sociétés secrètes, mystérieuses entre toutes.
S'agirait-il bel et bien d'un lieu étrange et prédestiné, véritablement magique ? C'est ce que nous laisse entendre l'étrange enquête de Jean Robin exposée dans son livre passionnant : Rennes-le-Château, la colline envoûtée (aux éditions Guy Trédaniel).
Selon Elisabeth Van Buren, une américaine, arrière petite-fille d'un président depuis longtemps installée dans le site même, il s'agirait - pour Rennes-le-Château - d'un lieu prédestiné protégé des cataclysmes à venir qui vont précéder la fin du monde actuel. C'est là, selon elle, que s'opérerait la revenue en gloire du Christ ( la Parousie). L'avenir proche nous apprendra si elle a vu juste !
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À propos de l'auteur
Serge Hutin, né le 2 avril 1929 à Paris et mort à Prades (Pyrénées-Orientales) le 1er novembre 1997, est un auteur d'ouvrages sur le gnosticisme, l'ésotérisme, notamment l'alchimie, la franc-maçonnerie et les sociétés secrètes.
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