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Cagliostro

On a assez dit de mal de Cagliostro, je veux en dire du bien. Je pense que cela vaut toujours mieux, tant qu'on le peut et au moins n'ennuierai-je pas par des redites.

Cagliostro était petit, mais il avait une fort belle tête ; elle aurait pu servir de modèle pour représenter la figure d'un poète inspiré. Il est vrai que son ton, ses gestes et ses manières étaient celles d'un charlatan plein de jactance, de prétentions et d'impertinence ; mais il faut considérer qu'il était Italien, médecin donnant des audiences, soi-disant grand-maître franc-maçon, et professeur des sciences occultes. Au demeurant, sa conversation ordinaire était agréable et instructive, ses procédés nobles et charitables et ses traitements curatif jamais malheureux et quelquefois admirables : il n'a jamais pris un sol de ses malades.

Je l'ai vu courir, au milieu d'une averse, avec un très-bel habit, au secours d'un mourant, sans se donner le temps de prendre un parapluie, et j'ai vérifié trois cures merveilleuses qu'il a faites à Strasbourg, dans les trois genres où l'art des Français excelle.

Un bas officier, déclaré incurable d'une mauvaise maladie, et qui avait été un cadavre hideux, m'a été montré par son capitaine ; il était gros et gras et parfaitement rétabli par Cagliostro.

Le secrétaire de M. de Lasalle, commandant à Strasbourg, se mourant de la gangrène à la jambe et abandonné de tous les chirurgiens, a été guéri par Cagliostro.

Une femme en travail ayant été condamnée par les accoucheurs à une mort certaine, sans promettre qu'ils sauveraient l'enfant, on fit appeler Cagliostro qui assura qu'il la délivrerait avec le succès le plus complet, et il tint parole. Il m'a avoué que sa promesse avait été téméraire ; mais que le pouls du cordon ombilical l'ayant convaincu que l'enfant était en parfaite santé, et voyant qu'il ne manquait à la femme que des forces pour accoucher, il s'était fié à la vertu d'un remède singulièrement confortatif qu'il possédait, et qu'enfin il avait été plus heureux que sage.

Son bonheur ou sa science en médecine a dû lui attirer la haine et la jalousie des médecins, acharnés entre eux autant que les prêtres, quand ils se persécutent.

Voilà les ennemis dangereux, qui l'ont le plus décrié en France, en Pologne et en Russie. Ici, je me rappelle un défi plaisant que Cagliostro a fait au médecin du grand-duc Paul. Ce docteur l'avait appelé en duel. Cagliostro lui dit que chacun avait le droit de ne se battre qu'avec les armes de son état, et que comme il s'agissait de prouver la supériorité de leur science réciproque, il lui proposait de s'entre-empoisonner ; qu'en conséquence, il lui offrait une pilule à avaler ; qu'il en ferait autant de celle que son adversaire lui donnerait, et que celui qui aurait le meilleur contre-poison serait le vainqueur. La haine qu'on portait au cardinal de Rohan, avec lequel il était extrêmement lié, a aussi fortement rejailli sur lui, et son nom a été mêlé dans l'histoire du collier, mais sans aucune preuve. Qu'on joigne à la calomnie de tant d'ennemis positifs la malveillance des hommes, qui aiment en général à croire et à répéter plutôt le mal que le bien, et on verra qu'il est au moins possible qu'un inconnu excitant l'envie plus que la pitié ait été opprimé par la médisance.

Tout ce que je puis attester, c'est que ses disciples lui sont restés fidèles, autant que les élèves des jésuites à leurs maîtres, que ceux qui ont beaucoup vécu avec lui m'en ont beaucoup dit du bien, et personne du mal, avec des preuves convaincantes.

S'il a trompé en qualité d'adepte, il n'a fait que son métier, et même plus noblement que tant d'autres personnages plus respectables que lui ; car il donnait gratis à ceux qui avaient faim, la nourriture qu'ils lui demandaient.

La charité, même mal employée, est pour le moins excusable. Sa loge égyptienne en valait bien une autre, car il a tâché de la rendre plus merveilleuse et plus honorable qu'aucune loge européenne. Elle offrait plus de charges de grands-officiers, que n'en avait la couronne de France, et dans le dernier grade il y avait l'apparition d'un ange derrière un paravent avec un petit garçon, auquel cet ange révélait tout ce que le premier lui demandait à la requête des spectateurs du paravent. Comme Cagliostro choisissait un enfant de beaucoup d'esprit, on a toujours été merveilleusement étonné de la sagacité de ses réponses.

La mauvaise conduite de la femme de Cagliostro lui a aussi attiré des reproches, même celui d'en être le complice ; mais pourquoi supposer sans preuves qu'un mari soit content lorsqu'il est ... battu ?

Ce qui a le plus occupé la curiosité du public, a été de découvrir d'où Cagliostro pouvait tirer tout l'argent qu'il dépensait, car il n'avait point de banquier qui lui en fournissait, il n'en recevait jamais par la poste, on ne lui connaissait aucuns biens, ni en terre, ni en portefeuille, et pourtant sa dépense annuelle à Strasbourg était évaluée à trente mille francs, et celle de Paris à près de cent mille.

Voilà un mystère qui n'a jamais été pénétré, et il est juste qu'un homme extraordinaire laisse après lui quelque chose à deviner. On a cru que c'est le cardinal qui lui a donné tout cet argent, et qu'il n'a jamais voulu s'en vanter ; c'est ce qu'il y a de plus probable, car rien n'est plus faux que le profit qu'on disait que Cagliostro tirait de ses médecines en partageant avec son apothicaire. Cagliostro donnait gratis toutes les médecines qu'il composait lui-même, et l'apothicaire ne vendait que des pilules à un petit écu chaque boîte : or, j'en ai donné la recette, dont l'auteur m'avait gratifié, à un apothicaire d'Allemagne, lequel m'en a demandé le double pour la même quantité.

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jeudi 21 novembre 2024