Actualisé le 17/11/2022
L'article Des hypostases du Grand Esprit Invisible proposait de définir les émanations purement divines du Grand Esprit Invisible jusqu'à Son déploiement en tant que Sauveur dans l'Univers. De plus, l'identité exact du dieu vengeur du Livre de la Genèse de l'Ancien Testament était restée voilée, pour que l'article puisse être interprété de deux manières différentes. En effet, l'Apocryphon de Jean a laissé un espace d'interprétation dans son développement sur le Livre de la Genèse en omettant la création du monde psychique et matériel [1]. Le récit du mythe passe directement de la remontée de Sophia dans le neuvième éon [2], à la création de l'homme psychique et matériel [3]. De plus pour cette dernière, il substitue systématiquement, toutes actions d'Élohim ou de Iahvé, aux archontes de l'Hebdomade du Sabbat [4]. Ceci a eu pour conséquence des divergences d'opinions chez les Gnostiques chrétiens du IIe siècles, qui ont alors développé deux recensions de l'Apocryphon de Jean, une courte et une longue. Outre quelques différences mineures, un des désaccords majeurs entre les deux recensions se trouve dans le fait qu'Élohim et Iahvé sont présentés soit comme juste, soit comme injuste [5]. Il faut alors considérer un mouvement gnostique Barbélo-Séthien qui reconnaissait la justice en Iahvé au lieu d'Élohim. Précisons que c'est la version courte (Élohiste) de l'Apocryphon de Jean qui est reconnue comme étant la plus ancienne [6], en particulier NH III.
Nous ne développerons pas les deux versions d'interprétation mais seulement celle des Gnostiques Barbélo-Séthiens dits « Élohistes », tout en donnant des esquisses de l'exégèse « Iahviste ». Nous présenterons maintenant toutes les hypostases du Sauveur dans l'Univers (Supracéleste et Céleste), ce qui nous amènera à expliciter les notions de « Roi » [7] (Iahvé) et de « Dieu » (Élohim) dans la pensée gnostique chrétienne.
Pour cela, nous nous inspirerons d'un écrit de la bibliothèque de Nag Hammadi, nommé Traité sur l'origine du monde. Cet écrit semble dater des environs de l'an 175 après Jésus-Christ. C'est une merveille de la littérature Barbélo-Séthienne rédigée dans un style extrêmement subtil et majestueux. Par l'étendue de sa complexité, il démontre un très haut niveau de connaissance de l'ésotérisme des grands mouvements religieux. Précisons que ce texte a certainement subit des remaniements, sans que nous puissions l'établir avec certitude [8], justement par des Gnostiques dits « Iahvistes ». Tout au long de cette étude, nous signalerons ces extraits « Iahvistes » pour présenter la version « Élohiste » du mythe gnostique dans toute sa pureté.
Iahvé contre Élohim :
Comme précisé ci-dessus, l'Apocryphon de Jean a fait apparaitre deux interprétations gnostiques du Livre de la Genèse. Présentons-les toutes les deux rapidement tout en précisant quelques notions sur la justice dans la vision gnostique.
L'absence de justice constitue le chaos, c'est Ialdabaôth, l'instauration d'une justice constitue l'Ordre, c'est le Seigneur Sabaôth. Ce dernier peut être considéré comme injuste, s'il n'est pas lié à la Bonté puisque la Loi est Amour. La Loi est en effet le critère permettant de définir ce qui est juste ou injuste, c'est-à-dire dans ou en dehors de la Loi. L'injustice a donc deux visages, pouvant être une absence de justice ou une déformation de celle-ci, un déséquilibre l'écartant de la Loi. Au contraire, l'Ordre juste rend la justice avec Bonté, c'est-à-dire dire selon la Loi. Quant à l'Harmonie, elle reflète un état de symbiose avec la Loi qui ne nécessite plus de justice, c'est le Logos.
La version « Élohiste » situe le renversement de Ialdabaôth par le Seigneur Sabaôth à la fin du temps pré-cosmique, pré-genèse. Ensuite, sur « la Sèche » [9], Élohim fait apparaitre la vie sous forme psychique et androgyne (plantes au troisième jour, animaux au cinquième jour et l'homme au sixième jour). Au quatrième jour, il institue l'Ordre, le monde psychique et matériel (le Soleil, la Lune et les étoiles) et celui-ci est juste, voire bon, le Dieu juste étant l'image du Dieu bon [10]. Dans un second temps, c'est Iahvé - Élohim qui font apparaitre la vie sur la planète Terre et Iahvé est injuste [11]. Élohim et Iahvé sont parfois rattachés dans le chapitre 2 et 3 du Livre de la Genèse, puisqu'ils sont tous les deux impliqués dans la création de l'homme. En généralisant, les « Élohistes » avaient une interprétation de l'Ancien Testament assez similaire à celle de l'Orthodoxie (Nous désignons par « orthodoxe », ici et après, toutes les églises chrétiennes et judéo-chrétiennes), hormis le fait qu'ils ne reconnaissaient pas le Seigneur Sabaôth comme le Dieu unique et suprême et voyaient dans le Iahvé biblique, une émanation de l'archonte Ialdabaôth.
Les « Iahvistes » prennent systématiquement à contrepied l'interprétation orthodoxe de la Bible. Leur position était certainement très proche du très célèbre Marcion, concevant le Créateur de l'Univers psychique et terrestre, comme mauvais et rejetant la quasi-totalité de la Bible. Le démiurge platonicien, « l'auteur et le père de cet Univers » (Timée ou de la Nature 28a-29a) équivaut au Seigneur Sabaôth pour les Gnostiques chrétiens. Pour les « Iahvistes », Sabaôth incarne l'Ordre injuste avec Élohim et juste avec Iahvé. Élohim institue alors non plus un Ordre juste lors de la création du monde psychique et matériel mais un Ordre injuste. Notons que le terme Élohim est parfois considéré comme un pluriel de par sa terminaison en « im » (Voir verset 26, chapitre 1 par exemple). Les « Iahvistes » devaient le considérer ainsi et voyaient derrière ce nom, la personnification des archontes de l'Hebdomade du Sabbat. Ils semblent toutefois hasardeux de se fonder sur l'étymologie de ce nom, qui est rendu de maintes façons, Éloïaos (Voir Apocryphon de Jean), Éloah (Voir Psaume 50, verset 22), Éloï ou encore Éli (Voir Évangile selon Matthieu, chapitre 27, verset 46 et Évangile selon Marc, chapitre 15, verset 34) etc.
Plus encore, certains « Iahvistes » considéraient aussi le Créateur du Supracéleste, le Logos, comme corrompu, mélangé au mal. La version courte de l'Apocryphon de Jean, reconnaît justement le Logos comme une émanation ou un vêtement du Sauveur alors que la version longue sépare totalement le Sauveur du Logos, il n'est ni son hypostase, ni son vêtement [12], puisqu'il ne vient pas sauver Sophia, l'Âme universelle [13]. Cette affirmation va absolument contre celle de l'Évangile :
« Au commencement était la Parole (Logos), la Parole était avec Dieu et la Parole était Dieu. Elle était au commencement avec Dieu. Toutes choses ont été faites par elle, et rien de ce qui a été fait, n'a été fait sans elle » (Évangile selon Jean, chapitre 1, versets 1 à 3).
Les « Iahvistes » pensaient que le Prologue de l'Évangile selon Jean avait été déformé. Ils jugeaient comme impure, mauvaise, toute la matière organisée, et donc l'engendrement et le mariage, et à plus forte raison, la relation sexuelle. La rupture avec le monde matériel était primordiale, puisque celui-ci est définit comme totalement séparé du monde divin, le Logos n'étant pas considéré comme une hypostase ou un vêtement du Sauveur.
Côté « Élohistes », on reconnaît la création du monde matériel et psychique comme bonne, du moins juste, l'encratisme et l'ascétisme modéré comme conseillé, l'engendrement et le mariage comme nécessaire mais réservé aux hyliques et aux psychiques, et la relation sexuelle comme inutile ou dégradante dans certains cas. C'est bien aussi ce qu'en pense Paul de Tarse [14].
Précisons que le « Iahvisme » s'est largement propagé durant le deuxième siècle, notamment dans le Valentinisme [15] créant une nébuleuse de secte au sein du même groupe.
Les « Iahvistes », à l'instar de Marcion, semblaient refuser à peu près tout enseignement provenant de la Bible. Comme la plupart des Chrétiens gnostiques, ils trouvaient leurs racines et parfois même leur « père », en Paul de Tarse, le Grand Apôtre des Nations. Les Gnostiques trouvaient dans certaines Épîtres de ce dernier, les germes de leur mouvement philosophique. En effet, rappelons que ce dernier révèle une tradition universaliste du Christianisme, sous l'inspiration de sa vision sur le chemin de Damas :
« Il n'y a plus ni Juif ni Grec ; il n'y a plus ni esclave ni homme libre ; il n'y a plus ni homme ni femme ; car tous, vous êtes un dans le Christ Jésus » (Épitre de Paul aux Galates, chapitre 3, verset 28).
De plus, dans sa célèbre Ière Épitre de Paul aux Corinthiens (Chapitre 2, versets 3 à 5), il sépare la sagesse des hommes, de la sagesse divine. Ensuite, il révèle l'existence d'une Sagesse chrétienne, « mystérieuse et cachée » (Chapitre 2, versets 6 à 9). Celle-ci est puissance de Dieu car inspirée par l'Esprit et non par les hommes. Elle est réservée à la classe des spirituels, aux Parfaits. Puis (Chapitre 9, verset 20), il se sépare de la Loi de Iahvé, tout en se rattachant à celle d'Élohim mais surtout à celle du Christ (Chapitre 9, verset 21). Les Judéo-Chrétiens quant à eux continue d'observer en partie la Loi juive (celle de Iahvé, le Pentateuque) et sont aussi sous la Loi d'Élohim, c'est-à-dire la Loi universelle pour les psychiques. Et dans la IIème Épitre de Paul aux Corinthiens, au chapitre 4, verset 6, il affirme sa fidélité à l'Élohim du Livre de la Genèse de l'Ancien Testament :
« Car l'Élohim qui a dit : « Que brille la lumière dans les ténèbres », a lui-même brillé dans nos cœurs pour qu'il illumine la science de cette gloire d'Élohim qui est sur la face du Christ ».
Cette courte affirmation en rapport avec les précédentes, précise bien la subtile position d'équilibre de Paul de Tarse sur la Loi d'Élohim. Il se place ingénieusement entre Orthodoxie et Gnosticisme de type « Marcioniste » ou « Iahviste ». Ces derniers rejetaient certainement cette Épitre et en reconnaissaient d'autres comme véritables. En effet, certains passages de l'Épitre de Paul aux Éphésiens auraient tendance à mettre en évidence un Paul de Tarse qui combat les « cosmocrates » de ce monde, ce qui le rapprocherait des mouvements dits « Iahvistes ». Dans les Épîtres dites « pastorales », à contrario, Paul critique la philosophie et les mythes, ce qui laisse sous-entendre qu'il était Orthodoxe et non Gnostique, mais ces lettres sont soupçonnées d'avoir été composées au deuxième siècle. Aujourd'hui, seules les lettres aux Thessaloniciens, aux Corinthiens, aux Galates, aux Philippiens et à Philémon sont reconnues comme sûres et authentiques. Ainsi, Paul le Pharisien zélé, devient un Chrétien puis un Gnostique de type « Élohiste ». Il se rend donc compte de la nécessité de paliers dans l'Initiation, d'une Église psychique et donc de la Loi d'Élohim. Il reste constamment lié à l'Église de Jérusalem (celle des Judéo-chrétiens), et parsème, lors de ses voyages missionnaires, les germes de l'Église psychique pour les Nations (celle des Chrétiens). Mais ce que l'on sait moins, c'est qu'il fût certainement actif dans les milieux gnostiques dits « Élohistes », comme nous le laissent entrevoir ses Épitres, ainsi que l'admiration que lui portaient la plupart des Gnostiques. On peut situer sa rencontre avec les milieux gnostiques, entre les lettres aux Thessaloniciens et les lettres aux Corinthiens. Les Épitres Thessaloniciennes, nous laissent entrevoir un Paul de Tarse encore membre à part entière de l'Église psychique et partageant totalement ses croyances [16]. Puis dans les lettres aux Corinthiens, il ne croit plus à la résurrection du corps physique. En effet, il fait explicitement comprendre que le corps physique se dissout, laissant place au corps spirituel [17]. Cette conception de la résurrection du corps démontre une connaissance étrangère à celle de l'Apôtre Pierre et nous porte à croire, que Paul fut un Gnostique chrétien dit « Élohiste ». De plus, malgré son attachement à l'Alliance avec Élohim, Paul se détache presque totalement de sa Loi et centralise tout son être sur les deux commandements du Christ qui sont toute la Loi (Évangile selon Matthieu, chapitre 22, versets 36 à 40). Si on cherche un troisième commandement, c'est de ne rien ajouter aux deux premiers, comme le souligne l'Évangile selon Marie (BG 1 ; 18,19-18,21). Les « Élohistes » sont en effet, assez « libéraux », respectant de près le principe de la Liberté dans l'Harmonie (Voir l'Épitre de Paul aux Galates, chapitre 5, versets 13 et 14).
Le Sauveur au temps pré-cosmique :
Nous allons maintenant retracer les grandes étapes de la création du monde en suivant le Livre de la Genèse de l'Ancien Testament et le Traité sur l'origine du monde. Ce dernier poursuivait l'objectif de donner une connaissance que l'Apocryphon de Jean ne fournissait pas. Nous mettrons alors à jour la vision gnostique dite « Élohiste » de la création du monde. Grâce à ce document, nous éluciderons aussi les mystères du jardin d'Éden. Les « Élohistes » considèrent en effet le chapitre 2 et 3 du Livre de la Genèse comme fallacieux mais recélant une part de la vérité. La description du processus de la création psychique et matérielle, nous permettra de suivre pas à pas toutes les hypostases ou vêtements du Sauveur.
L'auteur du Traité sur l'origine du monde conteste d'emblée la prééminence du chaos défendu par Hésiode (Théogonie 116) et les Juifs orthodoxes (Livre de la Genèse, chapitre 1, versets 1 à 5). Pour lui, l'origine du monde ne peut être chaotique, le Grand Esprit Invisible étant Harmonie.
« Alors que tout ce qu'il y a de divin et d'humain dans le monde affirme que rien n'existe avant le chaos, moi, au contraire, je démontrerai que tous ont fait erreur en méconnaissant la nature du chaos et sa racine. En voici la démonstration : s'il est vrai qu'il y a accord entre tous les humains sur le fait que le chaos est ténèbres, il est donc issu d'une ombre, on l'a appelé ténèbres. Or l'ombre provient d'une œuvre existant depuis le commencement. Il est donc évident que cette dernière existait avant que le chaos ne fût, et que c'est après la première œuvre qu'il est venu. Mais pénétrons dans la Vérité, de même que dans la première œuvre dont est issu le chaos, et ainsi apparaitra la démonstration de la Vérité » (Traité sur l'origine du monde NH II, 5 ; 97,25-98,10).
Pour commencer, l'auteur rappelle ce qui semble être accepté par tous. Ensuite, à partir de ces éléments, il construit une argumentation qui réfute l'idée principal. Le chaos existe et il est ténèbres, mais à ce moment-là, il ne peut être l'origine du monde, puisque la divinité ne saurait être ténèbres, chaos, ombre, abîme ou jalousie mais plutôt tout le contraire. Pour l'auteur, il est évident que le monde chaotique, tel que décrit dans la Bible, ou d'Hésiode jusqu'à Damascius, est apparu suite à une déficience de l'Âme universelle. Le chaos est donc, pour lui et en toute logique, apparu après l'Harmonie et ne constitue pas l'origine du monde.
Ensuite l'auteur fait la narration du récit de la création des cieux du chaos tel qu'on le retrouve habituellement dans la plupart des écrits gnostiques (puisque tous inspirés par l'Apocryphon de Jean). Ce passage de l'écrit est peut-être parsemé de remaniement, nous ne le présenterons pas ici et passerons directement à la fin du règne du chaos et à la conversion du Seigneur Sabaôth suite à la manifestation de Foi :
« Et lui (Ialdabaôth), il se réjouit en son cœur et se vanta : sans arrêt en leur disant « Je n'ai besoin de rien. » Il dit : « Je suis Dieu et il n'y en a pas d'autre en dehors de moi. » En disant cela cependant, il pécha contre tous les immortels qui annoncent les choses à venir et ils le surveillèrent.
Mais lorsque Foi vît l'impiété du grand Archonte, elle se mit en colère, - ils ne la voyaient pas – et dit : « Tu te trompes, Samaêl - c'est-à-dire le dieu aveugle -, il existe avant toi un Homme immortel, un Homme de Lumière qui se manifestera parmi vos modelages. Il te piétinera comme on foule l'argile du potier et tu dégringoleras avec les tiens jusqu'à ta mère, l'abîme. En effet, lorsque vos œuvres arriveront à leur terme sera dissoute la déficience entière qui est apparue dans la Vérité, et elle disparaîtra, et elle deviendra comme ce qui n'a jamais existé. »
Ayant dit cela, Foi dévoila dans les eaux son reflet, de sa grandeur. Et c'est ainsi qu'elle se retira en haut dans sa Lumière » (Traité sur l'origine du monde NH II, 5 ; 103,10-103,31).
L'auteur nous présente le blasphème de Ialdabaôth, en référence au Livre d'Isaïe et au Livre de l'Exode [18] où Iahvé annonce sa jalousie et sa suprématie. Ensuite, Foi [19] annonce à tous les cieux du chaos et à Ialdabaôth en particulier, l'existence de l'Homme immortel, ainsi que son incarnation future parmi les modelages qu'ils ont fabriqués. Puis Foi se retire dans sa Lumière. En effet l'Apocryphon de Jean fait référence à l'introduction de Sophia dans le neuvième éon (Voir BG II ; NH III ; 46,15-47,13). C'est la fin du temps pré-cosmique, pré-genèse. Maintenant, l'auteur va donner une version de la création du monde visible par Sabaôth. « Or quand Sabaôth, le fis de Ialdabaôth, entendit la voix de Foi, il la louangea et il condamna père et mère. Sur la parole de Foi, il lui rendit gloire de leur avoir fait connaître l'Homme immortel et sa Lumière. Puis Foi-Sagesse tendit son doigt et répandit sur lui une lumière issue de la Lumière, pour la condamnation de son père. Et quand Sabaôth fut illuminé, il reçut un grand pouvoir en face de toutes les puissances du chaos. Á partir de ce jour, on l'a appelé le Seigneur des Forces. Il prit en haine son père, ténèbre, et sa mère, abîme. Il prit en dégoût sa sœur, la pensée du Grand Géniteur, celle qui va et vient au-dessus des eaux » (Traité sur l'origine du monde NH II, 5 ; 103,32-104,13).
L'auteur fait clairement référence aux premiers versets du chapitre 1 du Livre de la Genèse de l'Ancien Testament, en dévoilant la véritable nature du monde d'en bas. Son origine est le monde d'en haut mais sa formation passe par une étape chaotique car son existence est déficience. En faisant référence aux termes « ténèbres » et « abîme », l'auteur entend faire reconnaître les origines parentales du soi-disant dieu unique et suprême des Juifs orthodoxes [20]. Une fois repenti, le Seigneur Sabaôth reçoit le trône au plus haut niveau vibratoire de l'Ogdoade. Ialdabaôth, l'archonte des ténèbres, furieux et jaloux, engendre alors la mort :
« Mais quand le Grand Géniteur du chaos vit son fils Sabaôth et la gloire dans laquelle il se trouvait parce qu'il avait été choisi de préférence à toutes les autorités du chaos, il fut jaloux de lui. Et quand il se fut mis en colère, il engendra la mort à partir de sa mort. Elle fut établie sur le sixième ciel, car Sabaôth avait été enlevé de ce lieu-là. Ainsi donc fut complété le nombre des six autorités du chaos » (Traité sur l'origine du monde NH II, 5 ; 106-20-106,26).
Cet extrait est particulièrement précieux. En effet, la notification de l'éon auquel appartient Sabaôth au temps pré-cosmique, nous permet d'établir une relation avec la liste de l'Hebdomade du Sabbat de l'Apocryphon de Jean et ainsi dissocier clairement les versions dites « Élohistes » et « Iahvistes » du mythe gnostique Barbélô-Séthien. Des deux listes transmises par l'Apocryphon de Jean, il n'y a que celle de BG et NH III qui situe Sabaôth dans la sixième sphère. Dans le Traité sur l'origine du monde [21], on retrouve le début de cette liste brusquement coupée pour faire place à une autre liste où Élohim est associée à des notions négatives. Ainsi, il est certain que l'ajout de cette liste dans le Traité sur l'origine du monde est un remaniement « Iahviste ». Le fait que Sabaôth trouve sa place dans le sixième ciel est particulièrement important pour bien comprendre le déroulement du mythe gnostique, tout particulièrement parce que la sixième sphère est celle du Soleil, selon l'ordre platonicien. Le Seigneur Sabaôth est ici présenté comme un modèle de conversion. Les fidèles sont appelés, à son instar, à rejeter les faux-dieux et à se ranger dans les rangs de la justice.
Le Sauveur et la Genèse de l'Ancien Testament :
Le Livre de la Genèse, d'une manière tout à fait intéressante, présente l'introduction de la Lumière dans le chaos. C'est Élohim qui agit, car c'est le Verbe qui règne sur le Céleste pour le Logos, le Verbe inarticulé. Élohim est tout simplement une hypostase ou un vêtement du Logos, c'est le Christ psychique.
1er et 2ème jour :
Élohim crée le jour et la nuit :
« Au commencement, Élohim créa les cieux et la terre. La terre (Érèts) était déserte et vide (tohu-bohu). Il y avait des ténèbres au-dessus de l'abîme et l'esprit d'Élohim planait au-dessus des eaux.
Élohim dit : « Qu'il y ait de la Lumière ! » et il y eut de la Lumière. Élohim vit que la Lumière était bonne et sépara la Lumière des ténèbres. Élohim appela la Lumière Jour et il appela les ténèbres Nuit. Il y eut un soir, il y eut un matin : premier jour » (Livre de la Genèse, Chapitre 1, versets 1 à 5).
Au commencement, quand Élohim voulut créer le monde, les éléments étaient tohu-bohu. La Pléiade a mal traduit ce terme hébreu en le traduisant par « désert et vide ». Louis Segond avait traduit par « informe et vide ». C'est la seule manière de rendre le terme dans son entièreté. En effet, tohu se traduit par « informe, désordre » et bohu par « vide » (Voir Dictionnaire encyclopédique de la Kabbale, Kabbale, Kabbaliste, livres et terminologie, Georges Lahy). Avec la traduction de la Pléiade, le terme tohu n'est pas exprimé.
Si le jour et la nuit se manifestent avant que le Soleil ne brille au quatrième jour, c'est tout simplement parce que c'est le Logos qui brille sur toute la création et fend les ténèbres pour purifier le firmament, de l'Obscur, (le Sel et le Jugement qui va avec). Il sépare « les eaux d'avec les eaux » [9] en utilisant la force d'attraction et de répulsion. Les jours de la création correspondent donc à des temps cosmiques.
Le Sauveur au temps pré-cosmique ne se manifeste pas vraiment, il laisse Ialdabaôth faire [22], certainement pour que celui-ci en vienne à montrer toute sa malice et à clamer au monde entier son égo. Ensuite, il commence à se faire annoncer par Foi et c'est ici que nous rencontrons la première hypostase du Sauveur, le Logos, nommé dans le Traité sur les origines du monde, Adam-Lumière. Ce nom fait certainement référence et rappel au Grand Adamas, l'Homme immortel. Il correspond au Dieu Éhyéh de la Bible pour qui agit Sabaôth et Élohim, en cela qu'il va introduire la Lumière dans le chaos :
« Il (Ialdabaôth) craignait en effet qu'ils (les autres archontes) ne comprennent qu'un autre existait avant lui et qu'ils ne lui donnent tort, mais dédaignant d'être mis dans son tort, le sot eut la témérité de dire : « Si quelqu'un existe avant moi, qu'il se manifeste afin que nous voyions sa Lumière ! »
Et voici qu'aussitôt une Lumière sortit de l'Ogdoade supérieure et traversa tous les cieux de la terre. Voyant que la Lumière était belle et radieuse, le Grand Géniteur fut stupéfait, et il éprouva une grande honte. Quand cette Lumière apparut, une forme humaine se révéla en elle, toute merveilleuse, et personne ne la vit, si ce n'est le Grand Géniteur seul et la Providence qui est avec lui. Mais sa Lumière apparut à toutes les puissances des cieux, c'est pourquoi elles en furent toutes troublées » (Traité sur l'origine du monde NH II, 5 ; 107,31-108,14).
L'auteur nous présente maintenant sa version du premier jour de la création du monde visible. Adam-Lumière sort de l'Ogdoade supérieure [23] et traverse tous les cieux de la terre [9].Le Sauveur jette le trouble et la honte dans le chaos en dévoilant sa Lumière. Pour l'auteur, c'est un moyen significatif de différencier la classe des hyliques, de celle des psychiques. En effet, à la vue de la Lumière, les transgresseurs de la Loi d'Amour ont honte et les psychiques sont troublés. On reconnait alors tout de suite à quelle classe ils appartiennent. Dans l'Évangile selon Thomas, le cheminement gnostique est présenté en quatre grandes étapes, la quête, le trouble, l'émerveillement et le règne :
Jésus disait : « Que celui qui cherche, sois toujours en quête jusqu'à ce qu'il trouve, et quand il aura trouvé, il sera dans le trouble, ayant été troublé, il s'émerveillera, il règnera sur le Tout » (Logion 2).
On retrouve donc ici un parallèle à ce logion, à la différence que, pour l'archonte, c'est la honte qui vient à la place du trouble. Ces quatre phases de l'illumination gnostique, trouvent leur plein sens si on les ramène au quatre niveaux d'Âme. Néphèsh cherche, elle anime le corps et le désir de découvrir le monde. Rouah se trouble face à ce monde de la dualité, il doit discerner et choisir. Neshamah s'émerveille de tout et plus particulièrement du divin. Hayah règne et contemple, c'est le niveau de plénitude de l'Âme. On pourrait compléter avec un cinquième temps, celui du repos, relatif à Yehidah, Le Gnostique chrétien est donc avant tout un vivant point d'interrogation, toujours en quête d'amour et de connaissance, celles-ci devant le mener à l'illumination, à la contemplation et enfin au repos.
Ensuite, l'auteur nous présente, d'une manière très originale, la restructuration de l'Ogdoade pré-cosmique et sa purification. L'épisode suivant est en parallèle avec un passage que nous avions choisi précédemment de ne pas présenter car certainement contaminé par des remaniements. L'évènement ayant suscité deux récits parallèles et faute de présenter le premier, nous examinerons le deuxième :
« Dès que la Providence eut aperçu cet ange (Adam-Lumière), elle s'éprit d'amour pour lui, alors que lui, il la détestait, car elle était sur les ténèbres. Et elle voulut l'enlacer mais elle n'y parvint pas. Incapable de mettre un frein à sa passion amoureuse, elle répandit sa lumière sur la terre » (Traité sur l'origine du monde NH II, 5 ; 108,14-108,19).
La Providence [19] se convertit comme son frère Sabaôth mais ne parvient pas à se hisser au niveau spirituel du Sauveur. Celui-ci, lui fait déverser sa lumière sur Adamah, dans l'Ogdoade [9], ainsi cette lumière pourra devenir parfaite avant de réintégrer la Lumière du Sauveur. Comme la lumière de la Providence [19] s'est repentie, elle purifie l'Ogdoade pré-cosmique :
« Depuis ce jour, on a appelé cet ange Adam-Lumière, ce qui signifie « l'homme de sang lumineux », et la terre s'étendit sur lui, « Adamah sainte », ce qui signifie « terre adamantine sainte ».
Depuis ce jour, toutes les autorités ont craint le sang de la vierge. Or la terre devint pure à cause du sang de la vierge.
Et plus encore, l'eau devint pure grâce au reflet de Foi-Sagesse, qui est apparu au Grand Géniteur dans les eaux. On a donc raison de dire « par les eaux », l'eau qui est sainte, puisqu'elle vivifie le Tout et le purifie » (Traité sur l'origine du monde NH II, 5 ; 108,20-109,1).
Sous l'impulsion de la vision du Sauveur, Sophia déverse son sang, c'est-à-dire la force vitale sur la Terre adamantine, et par la même sur les éons inférieurs du Céleste, pour que le Seigneur Sabaôth en prenne possession. Les eaux de l'Ogdoade ainsi purifiées et vivifiées, purifient à leur tour. Ici, l'auteur entend réduire à néant l'argumentation de certains de ses opposants qui voient le baptême d'eau comme totalement impur. Notre auteur s'en tient à l'Évangile et retient le baptême d'eau et de feu pour les hyliques et les psychiques et le baptême d'Esprit-Saint pour les Parfaits. L'eau du baptême, n'est pas impur, étant justement magnétisée à l'instar des eaux de l'Ogdoade qui ont reçu la force vitale de la vierge, elle purifie et vivifie.
« Á partir de ce premier sang, Éros apparut, androgyne. Sa masculinité est Himéros, puisqu'il est issu de la Lumière. Sa féminité qui l'accompagne, est une âme de sang issue de la substance de la Providence. Il est si charmant dans sa beauté, plus gracieux que toutes les créatures du chaos. Dès qu'ils aperçurent Éros, tous les dieux et leurs anges furent épris de lui. Et quand il apparut parmi eux tous, il les embrasa. Comme, à partir d'une lampe, on en allume plusieurs, et bien que cette lumière soit unique, la lampe ne faiblit pas, de cette façon aussi Éros se répandit parmi toutes les créatures du chaos et il ne faiblit pas.
De la même façon qu'à partir de l'espace intermédiaire situé entre la Lumière et les ténèbres se manifesta Éros - par l'intermédiaire des anges et des hommes fut accomplie l'union d'Éros - de la même façon, en bas sur la terre germa la première Volupté. La femme suivit la terre et le mariage suivit la femme, l'engendrement suivit le mariage, la dissolution suivit l'engendrement.
Après cet Éros-là, le cep de Vigne germa du sang qui avait été répandu sur la terre. C'est pourquoi ceux qui en boivent conçoivent le désir de s'accoupler. Après le cep de Vigne, un Figuier et un Grenadier germèrent sur la terre avec le reste des arbres selon leur espèce, portant en eux leur semence, issue de la semence des autorités et de leurs anges » (Traité sur l'origine du monde NH II, 5 ; 109,2-110,4).
Ici, apparait un nouveau personnage, Éros. Ce dernier est l'un des trois dieux ailés de l'Amour connus sous le nom d'Érotes (Les dieux de l'Amour). Ce passage a certainement subi un remaniement « Iahviste ». En effet, la référence à Himéros est douteuse, puisque l'auteur primitif, à la manière de Pausanias dans Le Banquet ou de l'Amour 180c-181a, fait intervenir plusieurs Éros et ne semble pas utiliser les distinctions Himéros, Pothos et Éros. En effet, dans le dernier paragraphe, l'auteur commence à présenter trois arbres qui poussent dans le jardin d'Éden, une Vigne, un Figuier et un Grenadier. Ils apparaissent « après cet Éros-là », c'est-à-dire après l'Éros spirituel qui, dans le premier paragraphe, a semé le désir et la quête du vrai, du bon et du beau parmi les dieux (les deux derniers paragraphes semblent avoir été inversés). L'auteur nous donne une conception toute gnostique d'Éros. Il le divise classiquement en trois niveaux, spirituel et surcéleste, psychique et Ogdoade puis terrestre et Ogdoade inférieure. L'auteur entend établir une concordance entre Élohim et l'Éros psychique. En effet, le Traité présente de manière très complexe, la mise en place de l'engendrement établit par Éros. Ce passage fait référence dans un premier temps au Livre de la Genèse où Élohim invite l'homme à se multiplier (Chapitre 1, verset 28) puis à l'épisode de la chute des anges déchus et de leur union avec les femmes (Apocryphon de Jean BG II ; NH III 73,18-75,13 et Livre d'Hénoch, chapitres 6 à 8). Pour l'auteur du Traité sur l'origine du monde, c'est de ce dernier union, représentant la passion de Psyché pour l'Éros terrestre que naitra Volupté et que l'humanité sera avilie à l'engendrement. Ainsi, on comprend que Psychè, la première âme, sera l'institutrice des trois classes d'homme [24], en fonction de ses passions. Le mythe gnostique offre un récit plus complet avec les différentes unions d'Ève dans le jardin d'Éden [29]. De plus, comme l'énonce Phèdre dans Le Banquet ou de l'Amour 178b, Éros n'a pas de parent. L'auteur y a vu une conception immaculée ou une hypostase du Sauveur comparable à celle d'Élohim. Éros est issue de la Lumière, c'est-à-dire du Logos et de la substance de la Providence, c'est-à-dire du Noùs [19]. De la même manière, dans le Livre sacré du Grand Esprit Invisible (NH III ; 62,25-63,23) le Grand Seth se fait préparer un corps logogène par l'entremise d'une vierge, pour s'introduire hors du Plérôme. Les Gnostiques « Élohistes » utilisaient la distinction stoïcienne des trois feux, ainsi Éros est Augë, Phlox et Anthrax, le feu spirituel, psychique et terrestre.
Cette correspondance à la mythologie grecque, est une manière pour l'auteur, de produire un texte de type universaliste et d'inviter le lecteur à comprendre que toutes les traditions ont une même source et s'interconnectent. Précisons aussi, que l'auteur a certainement été très influencé par Platon et par le mythe d'Éros et Psyché, qu'Apulée a rédigé quelques années auparavant. Il est aussi possible qu'il se soit inspiré de Pausanias le Périégète (115-180 ap. JC).
3ème, 4ème et 5ème jour :
Au troisième jour, est créé Érèts, la terre, sur laquelle apparaîtra le jardin d'Éden, le Paradis terrestre [9]. Voici la version de la création du jardin dans le Traité sur l'origine du monde (NH II, 5 ; 110,4-111,29) :
« Alors la justice créa le beau Paradis au-delà de la sphère de la Lune et du Soleil, sur la terre de délices qui est à l'Orient, au milieu des pierres précieuses. Et le désir est au milieu des arbres beaux et appétissants. Et l'Arbre de la vie immortelle, comme il a été manifesté dans la volonté de Dieu, est situé au nord du Paradis, afin de rendre immortelles les âmes des saints, qui sortiront à la fin des temps des modelages de la pauvreté. Or la couleur de l'Arbre de vie est comparable au Soleil, et ses branches sont belles, ses feuilles sont comme celles du Cyprès, son fruit a l'éclat d'une grappe de raisins, son faîte atteint le ciel.
Et près de lui se trouve l'Arbre de la Connaissance, doté de la puissance de Dieu. Sa gloire est comparable à l'éclat de la pleine Lune et ses branches sont belles, ses feuilles sont comme les feuilles du Figuier, son fruit est semblable aux dattes bonnes et appétissantes. Et celui-ci, c'est au nord du Paradis qu'il est placé, pour éveiller les âmes de l'oubli des démons, afin qu'accédant à l'Arbre de vie, elles mangent de son fruit et condamnent les autorités et leurs anges.
L'influence de cet arbre est décrite dans le Livre Saint : C'est toi l'Arbre de la connaissance situé dans le Paradis, celui dont a mangé le premier homme et qui a ouvert son intellect. Il a aimé sa coressemblance, il a condamné les autres ressemblances étrangères, il les a prises en dégoût.
Et après cela, l'Olivier a germé en vue de la purification des rois et des grands prêtres de la justice qui apparaîtraient dans les derniers jours, puisque l'Olivier est apparu dans la Lumière du premier Adam en vue de l'onction qu'ils allaient recevoir.
Or la première Âme s'éprit d'Éros qui était avec elle. Elle répandit son sang sur lui et sur la terre. Et à partir de ce sang, la Rose se mit à fleurir sur la terre, sur l'épineux, pour la joie de la Lumière, qui allait se manifester dans le Buisson. Et puis encore, les belles fleurs odorantes s'épanouissent sur la terre selon leur espèce, nées de chaque vierge parmi les filles de la Providence. Celles-ci, s'étant éprises d'Éros avaient répandues leur sang sur lui et sur la terre. Ensuite toutes les plantes germèrent sur la terre selon leur espèce, portant la semence des autorités et de leurs anges. Puis, à partir des eaux, les autorités créèrent toutes les bêtes selon leur espèce, et les reptiles et les oiseaux selon leur espèce, possédant la semence des autorités et de leurs anges ».
Pour introduire sa description du jardin d'Éden, l'auteur commence par donner sa localité. Il se situe au-delà de la sphère de la Lune et du Soleil, c'est-à-dire dans le troisième ciel selon l'ordre platonicien [9]. Cet éon est dépeint comme une « terre de délices qui est à l'Orient, au milieu des pierres précieuses ». Cette présentation est un ensemble de référence scripturaire [25]. S'il est précisé qu'au milieu de cet éon, se trouve le désir, c'est pour faire référence à un arbre appelé « de la Connaissance du Bien et du mal », placé au centre du jardin dans le Livre de la Genèse (Chapitre 2, verset 9). Dans la Gnose chrétienne, les arbres du Paradis (Vie et Connaissance) sont inversés par rapport à ceux présentés dans le Livre de la Genèse. Les Gnostiques ont fait une interprétation profonde et complexe des récits du Paradis. Pour eux, les arbres présentés dans le Livre de la Genèse, sont ceux qui sont apparus avec Volupté, « portant en eux leur semence, issue de la semence des autorités et de leurs anges », c'est la Vigne et le Figuier. Après cette précision, l'auteur nous décrit deux autres arbres portant le même nom (Vie et Connaissance) mais cette fois, c'est au nord du jardin qu'ils sont placés. Les Gnostiques chrétiens dits « Élohistes », voyaient dans les récits du Paradis, un texte à double échelle et à double sens. C'est ce qui explique pour eux, le fait que Iahvé et Élohim soient parfois rattachés dans ces chapitres. L'un comme l'autre vont agir simultanément mais séparément et pas pour les mêmes raisons, ni envers la même classe d'homme.
L'Arbre de Vie donc, ressemble au Soleil, il est comme un Cyprès et son fruit a l'éclat d'une grappe de raisin. Ainsi, l'auteur entend faire connaitre un nouvel arbre, véritable Arbre de la Vie, le Cyprès qui rappelle la Vigne.
Puis, l'auteur décrit l'Arbre de la Connaissance est comparable la Lune. Il est comme le Figuier et son fruit ressemble à une datte. Ici, comme précédemment, l'auteur introduit un nouvel arbre, le Dattier, véritable Arbre de la Connaissance, qui rappelle le Figuier. Il est placé lui aussi au nord du jardin, près de l'Arbre de la Vie.
Viens enfin l'Olivier, utilisé pour fabriquer l'huile d'onction sainte. Notons que Jésus, dans l'Évangile selon Thomas, présente cinq arbres et non six (Logion 19). Le Livre de l'Apocalypse de Jean (Chapitre 9, verset 4) fait allusion à deux Oliviers, un pour le pouvoir seigneurial et un pour le pouvoir sacerdotal. Comme Jésus représente les deux, étant le Messie, fils de Joseph et fils de David, l'Évangile selon Thomas a rassemblé les deux arbres en un.
Le dernier paragraphe revient sur la passion de Psyché pour Éros. Cette fois, le désir de Psyché est contrôlé, comme celui qu'éprouva Sophia dans l'Ogdoade. Le sang répandu sur la terre est un clin d'œil à l'épisode du conte d'Amour et Psyché où celle-ci se pique le doigt à la flèche de Cupidon [26]. En répandant son sang, elle manifeste un désir sensuel pour lui, c'est le début de l'avilissement de l'Âme aux passions amoureuses et au mariage, tel que Cupidon voulait l'éviter à Psyché [26]. Mais ici, après Volupté, la Vigne et le Figuier, va naître la Rose. Cette fois, la Rose va naître de la rencontre des Fils d'Élohim, avec les filles des hommes (Livre de la Genèse, chapitre 6, versets 1 à 4). Ceux-ci apprendront aux psychiques, le véritable amour. Ici encore, l'auteur s'efforce de faire entendre que Psyché est la première âme et la mère de toutes les âmes. Étant de type psychique, elle sera influencée par l'Esprit contrefait mais aussi par le Pneuma et donnera alors naissance aux trois classes d'hommes [24]. Ainsi, Psyché ayant répandu son sang sur la terre, toute sorte de semences vont naître en fonction de ses passions intérieures.
L'auteur, toujours de manière très imagée, nous fait comprendre que par le sang de Psyché, la Providence d'Élohim va pouvoir se manifester : « la Rose se mit à fleurir sur la terre, sur l'épineux, pour la joie de la Lumière, qui allait se manifester dans le Buisson ». Le Sel, la terre, et son Jugement, l'épineux, s'adoucit en acceptant la Lumière, et laisse l'Âme, symbolisée par la Rose s'épanouir à la Sagesse. C'est la reprise de toute la matière chaotique mais c'est aussi la régénération de la création archontique sur la planète Terre, dont le corps de l'homme, où sera placé Pronoia au centre de son dispositif, pour son évolution [27]. La Rose qui s'épanouit sur l'épineux est le symbole de l'intervention du Grand Esprit Invisible face aux désarrois de l'Âme universelle dans le chaos. Elle rappelle, à celui qui la contemple, que sans la Miséricorde divine, sans la Grâce, l'Âme reste dans la souffrance, mais lorsqu'elle se tourne vers la Lumière, une vie de joie se déploie. Pour les maîtres de la Kabbale, la rencontre des eaux d'en haut et d'en bas fait épanouir la « Rose aux treize pétales » et cette dernière représente la « coupe de bénédiction ». C'est le symbole de l'alchimie matérielle et spirituelle qui doit nous inciter à transformer le mauvais en bien, avec l'aide du Grand Esprit Invisible. Elle rappelle à l'homme que ce monde est duel, qu'il y a du bon et du mauvais en tout, mais que rien n'est véritablement entièrement mauvais, qu'au fond de toute chose, est renfermé une essence qui provient du monde de Barbélô et que cette dernière ne demande qu'à être manifestée en toute chose. C'est le symbole de la classe des spirituels, le premier d'entre eux ayant été béni par Élohim et justifié par la Sagesse, après avoir porté une couronne d'épine symbolisant la malédiction de Iahvé. Ensuite, ils recevront la bénédiction de la part d'Élohim, c'est-à-dire une couronne de Rose.
Nous revenons maintenant en arrière, car il semble que l'auteur n'avait pas vraiment le sens de la chronologie ou il a tout simplement oublié de présenter la création du Surcéleste. Il revient maintenant dessus d'une manière légèrement abrupte :
« Or avant tout cela, mais après qu'il fût apparue au premier jour, il demeura sur la terre environ deux jours. Il plaça la Providence inférieure dans le ciel et il monta vers sa Lumière. Et aussitôt les ténèbres couvrirent le monde entier. Mais quand la Sagesse qui est dans le ciel inférieur le voulut, elle reçut de Foi le pouvoir de créer de grands luminaires et toutes les étoiles. Elle les plaça dans le ciel pour éclairer la terre. Et ils marquent repères temporels et moments, années et mois, jours et nuits, instants et tout le reste. C'est donc ainsi que fut ornée toute la surface du ciel.
Mais quand Adam-Lumière voulut réintégrer sa Lumière, c'est-à-dire l'Ogdoade supérieure, il en fut incapable à cause de la pauvreté qui était mélangée à sa Lumière. Alors il se créa un grand éon et dans cet éon, il créa six éons, et leurs mondes au nombre de six, sept fois supérieur aux cieux du chaos et leurs mondes. Et tous ces éons et leurs mondes se trouvent dans l'infini entre l'Ogdoade supérieure et le chaos qui est sous elle.
C'est avec le monde qui appartient à la pauvreté qu'ils sont comptés. Si tu désires connaître leur disposition, tu la trouveras dans le Septième monde de Hiéralias le Prophète » (Traité sur l'origine du monde NH II, 5 ; 111,30-112,30).
Entre le premier et le troisième jour, Adam-Lumière remonte au-dessus du chaos pour y former la zone Supracéleste. Ainsi, le Céleste, se retrouve à nouveau dans les ténèbres et c'est alors que Sagesse [19], au quatrième jour, va créer tous les luminaires. Dans la zone Supracéleste, le Sauveur crée six éons, qu'il faut compter avec le monde de la pauvreté. Celui-ci contenant sept éons, nous nous trouvons en présence de treize éons dans l'Univers (hors sublunaire).
6ème, 7ème et 8ème jour :
Le Traité sur l'origine du monde a la particularité de décrire la création de l'homme spirituel, modèle (1er jour). Il le fait apparaître avant l'homme psychique (6ème jour) et terrestre (8ème jour), c'est la création de l'Instructeur :
« Alors les autorités reçurent la connaissance pour créer l'homme, Sagesse-Vie les précéda, celle qui est auprès de Sabaôth, et elle se moqua de leur dessein, parce qu'elles sont aveugles. C'est sans le savoir qu'elles l'ont créé contre elles-mêmes, ignorant ce qu'elles allaient faire. Voilà pourquoi elle les précéda et elle créa d'abord son homme, afin qu'il instruisît leur modelage de la manière de les mépriser, et qu'ainsi il en fût délivré.
Or, c'est ainsi que se produisit la naissance de l'Instructeur. Sagesse ayant laissé tomber une goutte de Lumière, elle s'écoula sur l'eau. Aussitôt apparut l'homme, androgyne. Cette goutte, elle commença par lui donner la forme d'un corps femelle, puis, dans le corps, elle lui donna forme à la ressemblance de la mère qui était apparue. Elle l'acheva en douze mois. Un être androgyne fut engendré, que les Grecs appellent « Hermaphrodite », et sa mère, les Hébreux l'appellent « Ève-Vie », c'est-à-dire l'Instructrice de la Vie. Et son fils est la génération seigneuriale. Puis les autorités l'appelèrent « la Bête » pour qu'il induisît en erreur leurs modelages. Le véritable sens de « la Bête », c'est « l'Instructeur », car il fut trouvé plus Sage que tous » (Traité sur l'origine du monde NH II, 5 ; 113,13-114,4).
Dans le premier paragraphe, Sagesse-Vie [19] pour prendre les archontes à leur propre jeu, va créer un homme parfait, qui sera un Instructeur pour les hyliques et les psychiques. Pour les uns comme pour les autres, son but sera de leur « donner ce qui n'est pas monté au cœur de l'homme », c'est-à-dire augmenter leur sensibilité à l'amour et qu'il « instruisît leur modelage de la manière de les mépriser (les archontes), et qu'ainsi il (Adam) en fût délivré ». C'est lui qui influencera Adam et Ève à prendre de l'arbre, au nord du jardin d'Éden. Ainsi, il devient le premier-né et le père d'une génération, les spirituels. Si celle-ci est appelée « seigneuriale », c'est pour la différencier de celles qui sont dites « royale » et « sacerdotale » [7] et règne injustement sur le monde. Les Gnostiques pensaient en effet, que les gouvernements, les Nations sont dominées par la troisième classe d'homme [24] et que celle-ci impose à toute l'humanité, un modèle déficient provenant des archontes. Pour eux, la seule manière de rétablir l'Harmonie sur la planète Terre, serait de placer la quatrième classe, les Parfaits, « la race sans roi » en position de domination. Or, les Gnostiques chrétiens, dans leur Sagesse, savaient que cela serait un contre sens vis-à-vis de la « grande économie des âmes » et que cela n'entrerait pas dans la Providence du Grand Esprit Invisible. On pense en effet à l'attitude de Jésus dans les Évangiles canoniques vis-à-vis de la royauté du monde d'en bas [28].
Le second paragraphe, se présente comme un enchainement d'allusions scripturaires dont il n'est pas toujours possible de retrouver la source exacte. La plus importante de ces allusions scripturaires fait référence au Livre de l'Apocalypse de Jean et à sa fameuse « Bête ». Il est ici question de dénoncer une mauvaise interprétation, suggérée par les puissances de ce monde, qui consiste à revêtir l'Instructeur d'une image négative, celle de la « Bête ». Il est probable que le second paragraphe soit un remaniement « Ophite ». L'Ophisme est le troisième grand mouvement du Gnosticisme chrétien. Pour eux, Iahvé et Élohim sont tous les deux des archontes, ni l'un ni l'autre n'est le Christ. De plus, le serpent de la Genèse est une des formes utilisées par le Christ.
Au sixième jour, le chapitre 1 du Livre de la Genèse ne précise pas à partir de quoi est créé le corps de l'homme. Au chapitre 2, c'est toujours de l'homme psychique qu'il s'agit, formé à partir d'Adamah, la Terre céleste, pure :
« Alors Iahvé-Élohim forma l'homme, poussière du sol (Adamah), et il insuffla en ses narines une haleine de vie (Neshamah) et l'homme devint une Âme (Néphèsh) vivante (Hayah) » (Livre de la Genèse, Chapitre 2, verset 7).
Ici, l'auteur du chapitre 2 du Livre de la Genèse anticipe et résume tout son développement en une seule phrase. Au sixième jour, Iahvé-Élohim forme le corps de l'homme psychique, qui reçoit une Neshamah puis une Néphèsh, dans laquelle est placée une Hayah, une étincelle de vie. S'il se tourne vers sa Neshamah, cette étincelle d'Hayah deviendra un feu et il règnera sur le Tout, mais si au contraire, il se tourne vers Néphèsh, il sera entrainé dans la roue des réincarnations. L'écrit gnostique intitulé L'Hypostase des archontes (NH II, 4 ; 88,13-88,15) fait bien le rapprochement entre Adamah et la Terre adamantine, l'Ogdoade, et y insère une allusion scripturaire au passage ci-dessus. Cela montre que pour l'auteur de ce texte aussi, il s'agit bien de la création de l'homme psychique dans le chapitre 2 du Livre de la Genèse.
En fait, le récit biblique est à double niveau, c'est Élohim, à travers Sagesse-Vie, qui insuffle Rouah et Neshamah à Adam et Iahvé le revêt ensuite d'une Néphèsh. Nous passerons le développement de la création de l'homme psychique dans le Traité sur l'origine du monde, mais en donnons un résumé [29], car il faudrait un livre entier pour traiter ce thème pleinement et ce n'est pas le sujet de cet article.
« Iahvé-Élohim fit pour l'homme et sa femme des tuniques de peau (Owr) et les en revêtit » (Livre de la Genèse, Chapitre 3, verset 21).
La création d'une tunique de peau peut paraitre ridicule mais une fois de plus, avec les traductions françaises, tous les jeux de mots hébraïques ne nous parviennent pas. En effet, ici on interpose l'image d'une tunique de peau, à la tunique de Lumière que porte l'homme spirituel. S'il en est ainsi, c'est parce que le terme « Lumière » se prononce Or en Hébreu et « peau » est rendu par le terme Owr. C'est un moyen extrêmement efficace de bien souligner le fait que la tunique de peau doit redevenir Lumière.
Le Traité sur l'origine du monde (NH II, 5 ; 117,29-118,6) récapitule de manière concise :
« Ainsi donc, le premier Adam de la Lumière est spirituel, il apparut le premier jour. Le deuxième Adam est psychique, il apparut le sixième jour, auquel on donne le nom d'Aphrodite. Le troisième Adam est terrestre, c'est l'homme de la Loi qui est apparue le huitième jour, après le repos de la pauvreté, celui qu'on appelle jour du Soleil. Or la postérité de l'Adam terrestre se multiplia et parvint à maturité. Elle conçut en elle toutes les histoires au sujet de l'Adam psychique ; néanmoins tous étaient dans l'ignorance. »
Paul de Tarse y ajoutera un enseignement sur Jésus-Christ en partant du constat précédent. Il fait de l'Adam terrestre, le premier Adam, par qui toute l'humanité a chuté, et Jésus-Christ symbolise le retour de l'Adam spirituel, par qui toute l'humanité sera sauvée [30].
Les récits du Paradis :
Á ce niveau du mythe, Adam sert aveuglément les archontes, qui règnent sur l'Ogdoade inférieure [23] depuis la chute de Ialdabaôth [31]. L'Instructeur incite donc l'homme à s'élever, en désobéissant à l'archonte des ténèbres :
« Je dirai encore ceci : Voyant que lui et sa compagne erraient dans l'ignorance comme des bêtes, les archontes se réjouirent beaucoup.
Quand ils comprirent que l'Homme immortel leur échapperait encore et qu'ils auraient aussi à craindre celle qui s'était faite arbre, ils furent troublés.
Ils dirent : « Ne serait-ce pas l'Homme véritable qui nous a obscurci la vue et qui nous a fait croire que celle que nous avons souillée lui ressemblait, afin que nous soyons dominés. »
Ils réunirent le conseil des sept, s'approchèrent d'Adam et Ève de manière à les effrayer et dirent : « Tous les arbres qui sont dans le Paradis, c'est pour vous qu'ils ont été créés, afin que vous mangiez de leur fruit. De l'Arbre de la Connaissance toutefois, gardez-vous, et n'en mangez point, car si vous en mangez, vous mourrez. » Leur ayant causé une grande frayeur, ils se retirèrent auprès de leurs autorités.
Alors survint le Sage entre tous, celui qui a été appelé « la Bête », et lorsqu'il vit le sosie de leur mère Ève, il lui dit : « Que vous a dit Dieu ? De ne pas manger de l'Arbre de la Connaissance ? »
Elle répondit : « Il a dit : " Non seulement n'en mange pas, mais n'y touche pas, afin de ne point mourir ". »
Il leur dit : " Ne craignez point, de mort vous ne mourrez pas. Il sait en effet que, si vous en mangez, votre Intellect se dégrisera et vous deviendrez comme des dieux, puisque vous connaîtrez la différence qui existe entre les hommes mauvais et les bons. En effet, c'est parce qu'il est jaloux qu'il vous a dit cela, afin que vous n'en mangiez pas " » (Traité sur l'origine du monde NH II, 5 ; 118,7-119,7).
Le Traité fait maintenant allusion à un passage très controversé du Livre de la Genèse de l'Ancien Testament, les fameux récits du Paradis. Mais ici, il s'agit d'un récit qui concerne uniquement la classe des spirituels. Il est calqué sur le récit du Paradis du chapitre 3 du Livre de la Genèse, concernant les psychiques. L'extrait ci-dessus, énonce donc le récit du Paradis concernant les spirituels et se trouve ainsi chronologiquement entre la fin du chapitre 2 et le début du chapitre 3. Au chapitre 2, versets 16 et 17, l'homme est trompé, c'est Iahvé qui lui interdit de manger de l'arbre qui est au nord du Paradis :
« Iahvé - Élohim donna un ordre à l'homme, en disant : " De tout arbre du jardin tu pourras manger, mais de l'Arbre de la Connaissance du Bien et du mal tu n'en mangeras pas, car du jour où tu en mangerais, tu mourrais " » (Du monde archontique).
Ici aussi, le récit est à double échelle, Iahvé - Élohim et autres archontes, interdisent à Adam et Ève de manger de l'Arbre de la Connaissance du Bien et du mal. En fait, c'est Iahvé qui intervient ici, Élohim quant à lui, va les inciter à en gouter dans le but que leur Intellect s'ouvre et les relier à leur Esprit. Les Gnostiques voyaient dans l'Arbre de la Connaissance du Bien et du mal, l'instrument de la supériorité de l'homme sur l'animal. Sur le plan spirituel, c'est le don de l'Esprit-Saint. L'homme peut maintenant, de son propre choix, continuer à vivre dans l'animalité ou se tourner vers Dieu. Les spirituels vont évidemment prendre du Dattier comme Élohim leur prescrit mais pas les hyliques et les psychiques.
Ici, la Providence du Grand Esprit Invisible s'exerce pleinement. Les âmes vont avoir le choix de se détourner de Lui et d'aller vers d'autres voies. Le Grand Esprit Invisible est Omniscient et sa préoccupation est de créer une créature libre, susceptible de venir à Lui de son propre choix car l'Amour ne se force pas. Ainsi, le récit du Paradis amorce la longue histoire de l'humanité qui ne sera qu'un enchainement de perches tendues à celle-ci, et souvent un enchainement de refus. Comme nous l'avions remarqué dans l'article intitulé À propos de Judas l'Iscariote, pour que le Grand Esprit Invisible puisse donner la Liberté, il faut nécessairement que l'Absolu de Son Omnipotence soit diminué. En fait, comme Paul de Tarse le souligne, le Grand Esprit Invisible est dans un effort permanent d'anéantissement de Lui-même [32]. À l'origine, celui-ci, s'est retiré pour créer un espace de création. De la même manière, au plan de l'Âme, Il a créé un Tsim-Tsoum du Rouah. C'est ainsi que dans le monde d'en bas, Sa Providence s'exerce ainsi que celle de l'archonte. Comme Judas, nous avons tous le choix de nos actes et de nos pensées, soit on se tourne vers sa Destinée et le Grand Esprit Invisible, soit on est dominé par le Destin, les puissances archontiques ou éléments [33], et la vie n'est qu'hasard et fatalité. On peut dire que le Grand Esprit Invisible est Tout-Puissant, notamment au niveau du monde apophatique, mais qu'Il se diminue pour laisser de l'espace à Sa Création, et d'autre part, puisqu'Il établit des Lois universelles harmonieuses et parfaites, Il ne peut ensuite outrepasser Ses propres Lois.
Pour les Gnostiques chrétiens dits « Élohistes », le récit biblique est tronqué, notre Traité le complète :
« Or Ève eut confiance dans les paroles de l'Instructeur. Elle regarda vers l'Arbre, vit qu'il était beau et appétissant, et le désira. Elle prit de son fruit, en mangea, en donna également à son époux. Il en mangea. Alors leur Intellect s'ouvrit. Quand ils eurent mangé, en effet la Lumière de la Connaissance les illumina. Ils comprirent alors que c'est lorsqu'ils se couvraient de honte qu'ils étaient nus de la Connaissance. Quand ils furent dégrisés, ils virent qu'ils étaient nus et s'aimèrent d'un amour mutuel. Et voyant que leurs créateurs avaient forme animale, ils les prirent en dégoût et comprirent beaucoup de choses » (Traité sur l'origine du monde NH II, 5 ; 119,8-119,19).
Ève va choisir de prendre du Dattier comme le lui prescrit l'Instructeur. Adam et Ève donc, s'aiment d'un amour mutuel, en Esprit, et leurs Intellects s'étant dégrisés, ils voient leurs créateurs. Ils deviennent des spirituels car ils ont reçu l'Esprit-Saint, Épinoia de la Lumière, qui s'est fait arbre dans le monde d'en bas.
« Or quand les archontes virent que leur Adam avait accédé à une connaissance différente, ils voulurent le mettre à l'épreuve. Ils rassemblèrent tous les animaux et les bêtes de la terre et les oiseaux du ciel, et les amenèrent à Adam pour voir comment il les appellerait. Quand il vit leurs créatures, il leur donna un nom. Ils furent bouleversés, car Adam était libéré de toute angoisse.
Ils se réunirent en conseil et dirent : « Voici qu'Adam est devenu comme l'un d'entre nous, de sorte qu'il connaît la différence entre la Lumière et les ténèbres. Maintenant, de crainte qu'il ne soit trompé comme pour l'Arbre de la Connaissance et qu'il ne s'approche aussi de l'Arbre de la Vie, qu'il n'en mange et ne devienne immortel, qu'il ne nous domine et ne nous méprise, qu'il ne nous dédaigne avec notre gloire entière et qu'ensuite, il ne nous condamne avec notre monde, allons, expulsons-le du Paradis, en bas sur la terre, le lieu d'où il a été tiré, afin qu'il ne puisse désormais rien connaître au-delà de nous. »
Ainsi donc jetèrent-ils Adam hors du Paradis avec sa femme. Et ce qu'ils avaient fait ne leur suffit point mais ils furent pris de crainte. Ils s'approchèrent de l'Arbre de la Vie, l'entourèrent de grands épouvantails, des êtres de feu appelés « Chérubins », et ils placèrent en leur milieu un glaive ardent tournoyant sans arrêt de façon à inspirer la terreur, afin que nul, parmi les hommes terrestres, ne pénétrât jamais en ce lieu-là » (Traité sur l'origine du monde NH II, 5 ; 120,18-121,12).
Adam ayant désobéi et pris de l'Arbre de la Connaissance, le Dattier, il est devenu un Parfait, et cela déplaît beaucoup aux archontes qui aimeraient le tenir sous domination. Ils le mettent alors à l'épreuve en rassemblant tous les animaux du Paradis devant lui [34]. Adam les nomme tous, animaux de la terre, les vices, comme les oiseaux du ciel, les vertus. Il sait faire la différence entre le Bien et le mal et devient supérieur à tous les animaux du Paradis et aux archontes. Il a reçu l'Esprit-Saint et va pouvoir pleinement aiguiser son discernement, contribuant ainsi à l'élévation de son homme intérieur, son Âme.
Élohim déclenche ici tout un jeu de domino, comme ayant tout prévu à l'avance. Ils laissent faire [22] Iahvé qui chasse les Parfaits puis crée le corps de l'homme avorton pour les enfermer dans la chair avec le reste de sa création. Si Élohim ne réagit pas, c'est parce que les spirituels serviront à éduquer les autres classes, qui ne tarderont pas à subir le même sort. L'auteur insinue par-là, que la première institution humaine fut l'Église invisible puis l'Église. Élohim ne reste en vérité pas inactif face à cette situation puisqu'il aura placé Pronoia au centre du dispositif du corps, pour son évolution [27]. C'est ainsi que, pour l'amour du Grand Esprit Invisible, Phronèsis [19] va connaître ce terrible destin, afin de régénérer sa sœur Sophia avec l'aide du Sauveur.
Ensuite, le récit continue dans le Livre de la Genèse, dans le chapitre 3, versets 2 et 3, c'est maintenant Élohim qui conseille aux psychiques, de ne pas toucher à l'arbre au milieu d'Éden, le Figuier :
La femme dit au serpent : " Du fruit des arbres du jardin nous pouvons manger, mais du fruit de l'arbre qui est au milieu du jardin, Élohim a dit : " Vous n'en mangerez pas et n'y toucherez pas, de peur que vous mourriez " (Du monde divin).
Le chapitre 3 du récit biblique concerne donc uniquement la chute des psychiques. Ils se sont laissés tromper par l'illusion du serpent. Élohim, ne voulant pas supprimer leur libre-arbitre, les laisse plonger dans les illusions du monde matériel (le désir de pouvoir, de domination, de possession, etc) que leur tend le serpent. Dans la suite du chapitre 3, il annonce alors à ces derniers, les décrets universels qui accompagnent leurs décisions et c'est ainsi que les hommes psychiques auront les premières désillusions concernant la vie matérielle. Ils auront en effet, l'occasion de créer leur gloire, de posséder et de dominer, mais ils seront toujours eux-mêmes dominés par plus fort qu'eux. Les psychiques se sont donc chassés eux-mêmes du Paradis. C'est la conséquence de leurs actes, de leurs éloignements volontaires. Ainsi, Élohim tel Cupidon pour Psyché, sera contraint par la faiblesse des psychiques, pour préserver leur Liberté et ne pas les abandonner totalement à l'Esprit contrefait, de les incarner avec les spirituels.
Et c'est ainsi qu'Élohim est le juste, et Iahvé, l'injuste [7].
Selon cette interprétation des récits du Paradis du Livre de la Genèse et de l'Apocryphon de Jean, on en conclue donc, que Iahvé est le Dieu vengeur qui usurpe le Nom divin et se fait passer pour le Dieu unique et suprême. C'est en effet Iahvé qui venge « l'affront » que les spirituels ont « commis » en se rebellant contre lui et qui se manifeste sous forme de serpent pour tromper l'homme psychique. Il sera donc finalement responsable de l'incarnation des trois classes d'hommes [24], puisqu'il chassera injustement les spirituels d'Éden, corrompras les psychiques et entrainera les hyliques dans sa chute.
Heureusement, Sagesse-Vie prise d'effroi devant la colère des archontes, les précipite eux-aussi sur la planète Terre. :
« Alors, voyant que les archontes des ténèbres avaient maudit ses coressemblances, Sagesse-Vie s'emporta, et sortant du premier ciel avec toute sa puissance, elle chassa ces archontes hors de leurs cieux et les précipita dans le monde pécheur, afin qu'ils y demeurassent sous la forme des démons mauvais sur la terre » (Traité sur l'origine du monde NH II, 5 ; 121,28-122,6).
Le Livre de l'Apocalypse de Jean corrobore, précise que l'archonte entraînera un tiers de l'humanité sur la terre, les spirituels, mais lorsque l'archonte sera lui-même chassé, les hyliques le suivront [31]. Le Traité sur l'origine du monde (NH II, 5 ; 123,2-123,25) expose brièvement ce passage du mythe. Il était déjà mentionné dans l'Apocryphon de Jean (BG II ; NH III 73,18-75,13). Le plan du Christ finira comme il a commencé, c'est-à-dire par la manifestation finale des spirituels et du Sauveur puis par la honte absolue et totale de l'archonte, c'est-à-dire de l'humanité hylique. Il s'en suivra l'illumination et la réintégration finale du Seigneur Sabaôth, signifiant ainsi la dissolution de l'Ordre et de la Justice.
Marana Tha !
En déployant les récits du Paradis, on constate que l'Ancien Testament n'est qu'un résumé ou plutôt un syncrétisme incomplet d'un corpus de texte très développé. Ceci explique les multiples niveaux d'interprétation et de lecture que l'on peut faire des textes bibliques.
Pour conclure sur le jardin d'Éden, il semble intéressant d'approfondir l'identité exact de l'Instructeur. Le Traité sur l'origine du monde ne le mentionne qu'uniquement sous ce titre, et ne fait pas état d'une apparence particulière. Le rapprochement avec la « Bête » du Livre de l'Apocalypse de Jean et le serpent du Livre de la Genèse est certainement un remaniement « Ophite ». En effet, pour les « Élohistes » et les « Iahvistes », le Christ n'est pas assimilé au serpent mais à l'aigle. On apprend en effet dans l'Apocryphon de Jean (BG II ; NH III ; 60,17-61,7 et NH II ; IV ; 23,25-23,35), que le Sauveur s'est présenté sous l'apparence d'un aigle aux spirituels pour les induire à prendre du Dattier.
Dans la tradition chrétienne, l'aigle est aussi évidemment le symbole de l'Apôtre Jean. Ce dernier, surnommé par Jésus, le « Fils du Tonnerre », est rapproché de l'image de l'aigle représentant la connaissance suprême et étrangère au monde archontique. En effet, le Livre du Deutéronome en fait l'image du dieu des étrangers (Chapitre 14, verset 12), il est impur et possède une connaissance d'étranger dont on ne connaît pas la langue (Chapitre 28, verset 49) Les Gnostiques ont alors naturellement vu l'aigle comme l'image du Grand Seth, l'Allogène possédant la connaissance du Plérôme. C'est aussi une manière pour eux de différencier le dieu national, le faux Iahvé, du dieu universel, le vrai Iahvé. En effet, le Livre du Deutéronome (Chapitre 32, verset 11) finit finalement par présenter cet animal soi-disant étrange comme l'Esprit « qui plane au-dessus de ses oisillons », rappelant l'Esprit d'Élohim « planant au-dessus des eaux ».
Pour les Orthodoxes, l'antique serpent du Livre de l'Apocalypse, représente le serpent du Livre de la Genèse, étant donné que les deux écrits se font écho, étant l'Alpha et l'Oméga de la Bible. Le Livre de l'Apocalypse de Jean fait aussi référence à un autre écrit, celui du prophète Daniel. La deuxième « Bête » correspond et réunit les quatre « Bêtes » du Livre de Daniel [35]. La troisième « Bête » est un renouvellement de la deuxième, sous les traits de l'empire romain. Certains Orthodoxes y verront aussi un faux-christ, gnostique ou autre, qui sera vaincu par l'Agneau, le Christ orthodoxe.
Le remaniement « Ophite » concernant l'assimilation de l'Instructeur au serpent de la Genèse et à la « Bête » servirait donc l'objectif de contrecarrer l'interprétation orthodoxe du Livre de l'Apocalypse de Jean, en renversant la donne. Pour eux, la « Bête » est en fait l'Instructeur, le serpent et le Christ, et l'Agneau est le faux-christ orthodoxe. Pour les « Élohistes », le serpent est présenté comme étant le Dragon, le Satan (chapitre 12, verset 9), c'est-à-dire Ialdabaôth. Ensuite, la deuxième « Bête » qui a multiples formes animales, c'est Sabaôth, au temps du prophète Daniel [35]. Pour terminer, vient la troisième « Bête » qui n'est qu'une nouvelle représentation de la seconde mais au temps de l'Apôtre Jean. « L'une de ses têtes est comme égorgée à mort et sa plaie mortelle a été guérie », ce qui sous-entend qu'à l'instar de Sabaôth, elle s'est convertie, sacrifiée pour la victoire de l'ange Michel puis a été ressuscité. On lui a donné de « faire la guerre aux saints et de les vaincre », ce qui fait allusion aux martyrs chrétiens face aux Romains mais surtout, aux Parfaits persécutés par les Orthodoxes. C'est elle qui, à l'instar de Nabuchodonosor et de César avec lequel elle fraternise, produit des images, des idoles (l'un du Crucifié et l'autre de lui-même). C'est « le huitième roi et pourtant l'un des sept et elle va à sa perte », puisque le Seigneur Sabaôth fait partie des sept archontes aux temps pré-cosmique, puis devient le huitième, instituant son trône sur l'Ogdoade. C'est le huitième roi du Céleste qui a renversé le Dragon et règne sur l'Ogdoade. Le fait que « Les habitants de la terre … s'étonneront de voir la Bête, qu'elle était, qu'elle n'est plus, et qu'elle sera là » nous incite à comprendre que la « Bête », à chaque période de l'histoire, utilise des pouvoirs « royaux et sacerdotaux » différents en apparence mais qui, dans le fond, sont identiques. Enfin, le Livre de l'Apocalypse de Jean annonce le renversement des trois « Bêtes » à la fin des temps par l'Agneau, le Logos, qui les tuera tous avec « l'épée qui sort de sa bouche » (chapitre 19, versets 11 à 21), ce sera le règne de l'Harmonie, après celui du chaos et de l'Ordre.
En résumé, pour les Orthodoxes, la « Bête » est l'empire romain et tous les christs non orthodoxes. Pour les « Élohistes », c'est Iahvé-Sabaôth, le pouvoir « impérial ou royal » mais c'est aussi Élohim-Sabaôth qui contrôle le pouvoir « sacerdotal ». En définitif, c'est Iahvé-Élohim ou César-Deos, les deux puissances de l'Univers psychique et matériel sous le contrôle de Sabaôth. Enfin, pour les « Ophites », la « Bête » est le Christ psychique et le serpent du Livre de la Genèse.
L'aigle est aussi présent dans le Livre de l'Apocalypse de Jean, dans le chapitre 12, verset 14, la femme est sauvée et portée dans son lieu par l'intervention d'un aigle, tel Sophia par le Logos dans le mythe gnostique [2]. Le Traité sur l'origine du monde n'est pas très précis sur l'identité de l'Instructeur, il a suffi au remanieur « Ophite » d'ajouter une simple phrase pour identifier l'Instructeur au serpent du Livre de la Genèse et à la « Bête » du Livre de l'Apocalypse de Jean, dans le but d'essayer de donner autorité à son interprétation du Livre de la Genèse. L'auteur du récit primitif du Traité sur l'origine du monde considérait l'Instructeur comme l'aigle, en suivant l'Apocryphon de Jean et le Livre de l'Apocalypse de Jean, qui sont ses deux sources « Élohistes » de référence.
On peut se demander quel intérêt et quelle importance cette identification de Iahvé ou d'Élohim pouvait avoir pour les Chrétiens du premier siècle. Ceux-ci, comme Paul de Tarse, cherchaient à bien interpréter les paroles du Seigneur Jésus et à bien garder sa Loi. Or celle-ci est la racine et la tige de toute la Loi des Juifs. Jésus lui-même enseigne dans l'Évangile selon Matthieu (Chapitre 15, versets 4 à 9 ou encore chapitre 5, versets 38 à 40), que des lois ont en effet été ajoutées soit par Moïse soit par les hommes. C'est ainsi que Iahvé aurait introduit de mauvaises lois. Il était donc indispensable de bien identifier « la véritable Bête » afin de pouvoir discerner, ce qui dans le Pentateuque, vient de Dieu, de Moïse ou des hommes [36]. C'est ainsi une manière de construire toute l'organisation de la société sur les bases les plus harmonieuses possible. Il était bien évidemment question pour les Gnostiques chrétiens de s'opposer à la génération dite « royale », assimilée à la troisième catégorie d'homme [24], et à sa manière d'utiliser les psychiques et les hyliques dans une ronde sans fin et sans sens. Les Chrétiens voyaient en cela, le monde à l'envers, car au lieu de s'élever spirituellement, l'humanité est ainsi mise en esclavage, servant plus le monde matériel, que son évolution vers le Grand Esprit Invisible. On retrouve cette idée de l'oppression du monde matériel sur l'homme dans l'Évangile selon Jean (Chapitre 6, verset 27), où l'Apôtre invite à travailler pour son évolution spirituelle plutôt que matérielle, autant que dans l'Évangile selon Thomas (Logion 64), où les personnes trop occupées n'ont pas le temps de venir au repas du Seigneur. Quant à Paul de Tarse, il invite à rester célibataire pour avoir le temps de plaire au Seigneur mais il prévient aussi que nul homme n'est jamais complètement libre de la chair, et que tout homme doit travailler pour assurer ses besoins matériels [37]. En effet, pour les « Élohistes », seuls les hyliques et les psychiques aptes, doivent travailler à temps plein. Les spirituels quant à eux, doivent concentrer leur effort sur la spiritualité et devenir des contemplatifs. Ils ne devraient travailler que le minimum pour leurs besoins matériels (qui sont minimums). Précisons que les Chrétiens n'envisageaient pas une société inégale, où on peut gagner dans le même temps de travail, jusqu'à dix fois la somme d'un autre. Ce serait plutôt l'inverse [38]. Un spirituel devait pouvoir gagner le minimum vital (s'habiller, se nourrir, en gros de quoi vivre dans la dignité humaine) avec un emploi classique de quelques heures par jour, comme le travail aux champs. Ceux qui préfèreront les métiers intellectuels, mentaux, ne devraient le faire que pour avoir un métier plus intéressant et non pour gagner plus. Si leurs intérêts sont plus grands, leurs efforts n'en sont pas plus intenses. Les « Iahvistes » et les « Ophites » quant à eux, considéraient le travail matériel comme totalement inutile pour toute la société.
Pour bien fonder une société, il faut déterminer quelles doivent être les relations des institutions fondamentales qui la constitue. C'est une autre raison qui poussait les Chrétiens à bien étudier les rapports entre Iahvé- Élohim car ils représentent l'État et l'Église. Notons simplement que les Orthodoxes conçoivent l'État et l'Église comme indissociable, Iahvé-Élohim œuvrant tout deux pour le Seigneur Sabaôth. Avouons que l'histoire humaine nous démontre que ce système a le désavantage de provoquer la corruption. Pour les Gnostiques « Élohistes », Iahvé étant une émanation de Ialdabaôth, il doit être séparé d'Élohim mais pas de Sabaôth qui doit garantir que l'Ordre ne devienne pas injuste. Ils voyaient aussi dans la déclaration du Christ aux prêtres juifs, une invitation à dissocier, sans séparer, l'État et l'Église :
« Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Évangile selon Luc, chapitre 20, verset 25).
Ils déduisaient des évangiles, que l'État n'a pas une bonne influence sur l'Église, et corrompt le culte à son avantage. Pour eux, Iahvé ne doit donc en aucun cas intervenir dans les affaires de l'Église. Ils pensaient que c'est plutôt à l'Église de donner les valeurs éthiques et les lois à l'État, qui doit ensuite s'assurer de leurs applications sans l'aide de l'Église (puisque c'est l'État seul qui détient le pouvoir financier et militaire). Pour eux, l'Église détient tout son pouvoir de l'amour que lui porte le peuple, en cela elle détient le vrai pouvoir. C'est ce pouvoir du peuple, et le pouvoir de Dieu, qui doit gérer la démarche de Iahvé. Les impôts doivent donc logiquement être payés, mais c'est à l'Église et aux peuples de s'assurer que celui-ci est juste. Mais au-delà de ces considérations, les Gnostiques « Élohistes », voulaient construire un Ordre mondial, une seule humanité dans la diversité mais sans frontières économique, politique et militaire. Cet Ordre mondial devant laisser place avec le temps, à l'Harmonie mondial fédérée par l'Église invisible universelle. Le syncrétisme théologique des grands mouvements spirituels des différentes nations semble avoir été réalisé à merveille par la Gnose chrétienne, mais l'humanité dans son ensemble ne semble pas avoir eu le niveau de conscience désiré pour mener à bien un tel projet.
Les récits du Paradis devaient mener la classe spirituelle à comprendre que Iahvé sera toujours contre elle, et que Sabaôth n'aura jamais vraiment la main sur lui, la justice sur la planète Terre devenant une chimère. Pire, ils seront les pierres d'angles rejetées par les bâtisseurs, c'est-à-dire Sabaôth et le pouvoir sacerdotale, les Pharisiens. Ainsi, ils devaient comprendre que leurs incarnations ici-bas est injuste puisque causée uniquement par Iahvé, à la différence des hyliques et des psychiques qui se sont éloignés de Dieu. Malgré cela, ils devaient prendre conscience que le but de leurs existences n'est pas de souffrir ou de se laisser corrompre, pas plus que de combattre Iahvé puisqu'il est nécessaire. Leur chemin est plutôt de vivre pleinement libre tout en veillant à être incorruptible vis-à-vis de la Loi du Christ, en évoluant eux-mêmes, « en essayant tout et en gardant le bon », et en voilant aux frères psychiques, ce qui pourrait les choquer où leurs nuire dans leurs états passagers de pauvreté spirituelle. Leur mission est d'aider l'humanité à faire les bons choix et à se rapprocher du Christ. Pour cela, chacun a reçu des dons spirituels particuliers, qu'il doit mettre au service de l'humanité et du Christ. Ceci dit, ils doivent être des passagers dans ce monde, c'est-à-dire de ne pas se mêler de trop près des affaires du monde matériel [39].
Le Sauveur dans le système solaire :
Maintenant, l'auteur entend mettre à jour la dernière hypostase ou vêtement du Sauveur. Ici, nous entrons dans l'enseignement le plus profond de notre Traité. Évidemment qui dit « mystère » doit aussi penser « secret ». Ce chapitre de l'article n'est et ne sera certainement jamais totalement élucidé de manière claire et formelle. Nous proposons seulement une interprétation du paragraphe suivant, laissant au lecteur le droit et le devoir de se faire sa propre opinion, en fonction de ses sources et de son Intelligence du cœur. Il serait illusoire de penser pouvoir détenir la Vérité absolue sur les sujets traités par la suite ou de détenir dans toute sa profondeur, la pensée de l'auteur. En effet, le paragraphe suivant est très fortement imprégné d'allusions scripturaires :
« Il y a trois hommes, et ses descendants jusqu'à la fin du monde, le spirituel de ce monde, le psychique et le terrestre, comme il y a trois palmiers du Paradis : le premier est immortel, le deuxième dure mille ans ; quant au troisième, il est écrit, dans le Livre Saint, qu'on en mange. Ainsi y a-t-il trois baptêmes : le premier est spirituel, le deuxième est feu, le troisième est eau.
Tout comme le Phénix rend un témoignage concernant les anges, tel est aussi le cas des vases d'eau qui sont en Égypte : ils rendent un témoignage concernant ceux qui descendent dans le baptême de leur Homme véritable.
Les deux taureaux qui sont en Égypte ont un sens caché : le Soleil et la Lune. C'est un témoignage à propos de Sabaôth qu'ils rendent, à savoir que la Sagesse du monde a pris le dessus sur eux depuis le jour où elle a créé le Soleil et la Lune et où elle a scellé son ciel pour l'éternité.
Le ver engendré du Phénix n'est pas un homme. Il est écrit à son sujet : « Le Juste croîtra comme un palmier ». Et le Phénix apparaît d'abord vivant, et il meurt, puis à nouveau il se dresse, signe de celui qui s'est manifesté à la fin des temps.
Pour commencer, les trois classes d'hommes sont réénumérées [24] et mises en relation, cette fois, avec trois palmiers, mais aussi avec les trois baptêmes. La concordance s'ordonne ainsi, l'homme spirituel / Cyprès / Baptême du Saint-Esprit, l'homme psychique / Dattier / Baptême de feu et enfin, homme hylique / Figuier / Baptême d'eau. Le Phénix rend un témoignage concernant les anges, c'est le Juste et le Juge. Ensuite, vient une allusion à la légende de Salomon et des démons qui l'ont aidé à construire le Temple de Jérusalem. Cette légende tient ses racines dans l'Ancien Testament mais sera surtout connue par le Testament de Salomon. C'est une manière pour l'auteur de polémiquer sur le thème du baptême. Après avoir justifié le baptême d'eau précédemment [40], l'auteur par l'image des vases d'eau en Égypte, entend faire reconnaître la valeur purificatrice et régénératrice de l'eau, tout en le reconnaissant comme le baptême inférieur. Pour bien interpréter cette image des vases en Égypte, il faut rappeler quelques notions, très commune à l'époque.
Le jardin d'Éden, d'après la description biblique, est assimilé à la Mésopotamie primitive et Israël est la Terre sainte, adamantine, le paradis psychique, l'Ogdoade. Enfin, l'Égypte représente le Supracéleste. Cette position privilégiée de l'Égypte peut surprendre en milieu juif et chrétien, pourtant curieusement, Irénée de Lyon, en s'appuyant sur les Évangiles canoniques en donne lui aussi, une appréciation positive [41].
Pour l'auteur, les deux paradis prennent une notion négative, Babylone étant assimilée à la corruption matérielle et Israël à la corruption ou à la vulgarisation spirituelle. Pour les Gnostiques, la génération seigneuriale, est celle des Parfaits, aussi nommé la « race sans roi ». Elle est en réalité représentée par l'Égypte, le seul pays formant des Initiés sachant décodés les grands signes de la nature. Israël est l'image du Paradis psychique, l'Ogdoade, et à l'inverse du jardin d'Éden où l'homme y est placé pour le garder, ici, c'est l'Ogdoade qui garde les vases, assimilés aux étoiles qui baignent dans la nuée lumineuse. Cette dernière correspond à l'eau purifiée par la Lumière et le Sang de la Vierge [40]. Puisque l'eau a reçu la Lumière et l'Esprit-Saint, les âmes des psychiques qui se sont repenties y seront purifiées mais aussi régénérées en attendant leur entrée dans le Plérôme, à la fin des temps. Selon le Talmud de Babylone, c'est en Égypte (Supracéleste) que les vases seront ouverts et les démons libérés. Ils seront alors admis dans l'éon d'Éléleth et seront devenus des spirituels ayant reçu le baptême d'eau, de feu et d'Esprit-Saint.
Ensuite, l'auteur fait une deuxième référence explicite à l'Égypte. Le Traité sur l'origine du monde est truffé d'allusions à la cosmogonie égyptienne, dont le plus grand nombre sont implicites. En les additionnant toutes, on pourrait reconstituer le mythe égyptien tel qu'il était encore connu aux premiers siècles de notre ère, au cœur du milieu alexandrin. C'est ici que l'on se rend compte de la richesse quasi infini du Traité sur l'origine du monde, véritable Mémorial de l'Esprit humain. Les deux taureaux du Nil, font référence à Apis le taureau domestique et à Boukhis le taureau sauvage, et ramenés à la symbolique du Soleil et de la Lune, ils forment une paire indissociable. Ils remémorent l'éternelle rivalité opposant le dieu égyptien Osiris représenté par le taureau Apis, au dieu Seth. Cette dualité marque la justice et l'injustice, l'Ordre et le désordre etc. Pour le Traité sur l'origine de monde, il s'agit d'un signe sur Sabaôth et donc sur ses deux puissances, Élohim et Iahvé.
En réalité, pour les Gnostiques, Iahvé et Élohim sont les dieux des hommes hyliques et psychiques, qui n'ont pas reçu la Connaissance ou ne sont pas capable de la mettre en vie. Pour les Gnostiques, il s'agit du pareil au même, la justice ne faisant pas autorité devant la Bonté, l'Ordre ne créant pas la Liberté et la sécurité que procure l'Harmonie. Pour eux, le Seigneur Sabaôth est une nécessité dû à la faiblesse des hommes, mais n'est pas digne d'adoration. C'est donc un témoignage négatif sur le Seigneur Sabaôth, que rendent les deux taureaux du Nil. Heureusement, « la Sagesse du monde a pris le dessus sur eux, a créé le Soleil et la Lune et a scellé son ciel pour l'éternité ». L'extrait ci-dessus est probablement inspiré d'un passage du Livre de l'Apocalypse de Jean (Chapitre 12, verset 1), où Sophia est représentée comme « une femme (l'Église) vêtue de Soleil (Élohim), avec la Lune (le serpent) sous ses pieds et une couronne de douze étoiles (les douze tribus d'Israël, l'Ogdoade) ». Notre auteur insinue ici que la Sagesse du monde, c'est-à-dire Sophia qui s'est repentie à la vue de la Lumière du Sauveur, a finalement renversé tout l'Univers, pris possession de l'Ogdoade et maîtrise ainsi la « grande économie des âmes ». Le ciel est purifié mais c'est maintenant dans l'espace sublunaire que le mal est contenu. Après avoir incité le lecteur à se convertir dans les rangs de la Justice à l'instar de Sabaôth, l'auteur entend maintenant élever son auditoire au stade suivant. Il nous invite à pénétrer dans l'Église invisible et à accéder à un enseignement dépassant la sagesse inférieure du Seigneur Sabaôth et du Christ psychique.
Comme nous l'avions remarqué précédemment, le sixième ciel est rattaché à la sphère du Soleil selon l'ordre platonicien mais aussi dans le Traité sur l'origine du monde. En fait, dans la version courte de l'Apocryphon de Jean, Sabaôth est bien situé dans la sixième sphère mais le Soleil est placé dans la septième sphère (BG II ; NH III ; 39,18-40,18). Ceci reste inexpliqué car aucun exégète n'a encore pu identifier et comprendre l'ordre céleste que les Gnostiques utilisaient. Nous proposons l'explication suivante. Personne n'a émis l'hypothèse que l'ordre proposé dans l'Apocryphon de Jean, se situe au temps pré-cosmique. Pourtant, cela semble bien indiqué par le contexte du texte en soi. L'ordre platonicien est évidemment un ordre cosmique et c'est bien aussi celui utilisé par l'auteur du Traité sur l'origine du monde. De multiples hypothèses infructueuses ont été émises afin de déterminer l'ordre de l'Hebdomade du Sabbat utilisé dans l'Apocryphon et aucune liste de l'ordre cosmique n'a jamais été retrouvée. On pourra juste déduire que Sabaôth sort de l'Hebdomade du Sabbat pour rejoindre l'Ogdoade et que l'Archonte prend sa place dans la sixième sphère. Ce dernier institue alors la mort et de son côté, Sabaôth institue la Vie [42] puis est élevé dans l'Ogdoade. Les « Élohistes » ont compris de ce passage que Sabaôth continue à exercer son règne dans la sixième sphère à travers le Christ. En effet, Ialdabaôth sera chassé une deuxième fois par Sagesse-Vie. Ainsi, Vie et Élohim s'installe dans la sixième sphère et Mort est reléguée à la septième. Pour les Gnostiques chrétien, l'enfer est aérien, il est représenté par les cinq cieux sublunaires. C'est donc le Christ qui règnera sur la sixième sphère, celle du Soleil selon l'ordre platonicien. Ainsi, parti de la dualité Soleil et Lune dominée par Sabaôth (Lune) / Iahvé (Soleil) suite au renversement cosmique, c'est la dualité Élohim (Soleil) / Iahvé (Lune) qui est exprimée. Notons que Paul de Tarse semble avoir lui aussi une appréciation positive du Soleil et moindre de la Lune [43]. Dans l'Apocryphon de Jean, c'est Élohim qui reçoit le qualificatif d'« Œil du feu », laissant ainsi présumer son futur déplacement dans la sphère solaire. C'est aussi un rappel qu'il est une hypostase ou un vêtement du Sauveur puisque le Grand Adamas est qualifié d'« Œil de la Lumière ». À l'inverse, Sabaôth est relié à la Royauté, pour indiquer qu'il prendra la place sur le trône céleste [44] tout en gardant un « œil » sur le monde terrestre. Évidemment comme le passage sur l'institution de la Vie par Sabaôth n'est pas très clair, les mouvements « Iahvistes » et « Ophites » vont développer d'autres versions du mythe.
Dans le monde juif, cette dualité est symbolisée par Caïn / Abel. La version courte de l'Apocryphon de Jean (62,3-63,12), fait correspondre Élohim et Abel puis Iahvé et Caïn. Il situe Élohim dans la deuxième sphère, Sabaôth dans la sixième sphère et Kaïn dans la septième (39,18-40,18 et 41,12-42,10). Abel n'apparait pas et on serait tenté de l'assimiler à Élohim. C'est la théorie que Bernard Barc a avancée[45]. Ce dernier propose de ne pas faire coïncider les différents noms des archontes de manière linéaire et propose donc toute une restructuration de l'Hebdomade du Sabbat, selon l'idée qu'Abel ne peut représenter qu'Élohim. Cette interprétation serait plausible si elle n'avait pas le désavantage de séparer par la même Élohim d'Hermas, c'est-à-dire Hermès. En fait, l'Apocryphon a tout simplement voulu souligner le lien existant entre Abel, Élohim, Sabaôth et Caïn, Iahvé, Ialdabaôth et ne restreint pas formellement l'identification d'Abel à Élohim. L'auteur du Traité sur l'origine du monde a voulu mettre l'accent sur la dualité Sabaôth-Ialdabaôth et au lieu de rapprocher Élohim d'Abel comme Bernard Barc le propose, il le relie à Sabaôth. Il s'inspire certainement de L'Apocalypse de Jean qui décrit justement Sabaôth « comme égorgée à mort et sa plaie mortelle a été guérie », ce qui rappelle, à l'instar d'Osiris, le sacrifice du Seigneur Sabaôth dans la lutte contre Ialdabaôth. Cette théorie a l'avantage de garder le lien entre Élohim et Hermès, ce qui sera crucial pour la suite du récit.
Si « le ver engendré du Phénix n'est pas un homme » [46], c'est que le ver n'est pas le Phénix et inversement car le Phénix représente l'homme intérieur. L'homme s'apparente, selon les Sentences de Sextus [47], à ce qui pense à travers le corps, c'est-à-dire l'Âme. Le ver représente donc le corps et l'homme, l'Âme. Le corps engendré pour l'Âme, n'est pas l'Âme elle-même mais son vêtement dans ce monde. Cette simple phrase, « le ver engendré du Phénix n'est pas un homme », enseigne que seul l'Âme vit éternellement et passe d'une forme à une autre. Si « le Juste croîtra comme un palmier » [48], c'est que celui-ci à l'instar d'un palmier se sera élevé spirituellement, par son humilité dans le monde. L'auteur utilise un jeu de mot entre « palmier » et « phénix » qui s'écrive de la même manière, en Copte. Le Juste donc, s'élèvera tel un palmier ou un Phénix. Si « le Phénix apparait d'abord vivant, il meurt et à nouveau, il se redresse », c'est pour rendre totalement clair l'ensemble d'allusions scripturaires précédent, le Christ est l'Arbre de Vie qui est comparables au Soleil [49]. C'est une manière pour l'auteur d'assimiler le Juste au vrai Iahvé et au Soleil de justice, mais aussi au dieu grec Hélios et à Horus, le Seigneur des réincarnations de l'Ancienne Égypte. L'auteur qui est Alexandrin, utilise le mot Phénix mais il pense en fait à l'oiseau nommé Bénou, qu'Hérodote décrit dans le 2ème livre d'Histoires. Ce dernier le rapproche de l'aigle et on sait que le Bénou sera rapproché d'Osiris par les Héliopolitains dès l'Ancien Empire. Ainsi, l'auteur assimile, le Phénix à l'aigle, au vrai Iahvé, à Horus et à la dernière hypostase du Grand Adamas, c'est un « Œil de la Lumière » dans le monde terrestre [44], c'est-à-dire le Soleil.
Le mythe gnostique dit « Élohiste » reconnait en effet, le Christ comme régnant sur la sphère du Soleil et attendant les hommes devant son tribunal pour les juger, « séparer les mauvais du milieu des justes » [51]. Jésus est perçu par l'auteur comme un grand signe de la nature, une comète qui s'est consumée pour éclairer son temps et permettre aux hommes de s'unir à la véritable Sagesse, Épinoia de la Lumière. C'est une des grandes manifestations du Christ sur la planète Terre et certainement la plus grande. L'histoire de sa vie est pour « celui qui a des oreilles pour entendre », une source de Sagesse infinie. L'auteur veut faire reconnaitre que le Christianisme est une régénération de l'éternelle religion égyptienne. Mieux, il fait comprendre à son auditoire que toutes les religions ont la même origine, et que toutes les religions ont toujours subi deux grandes séparations, Orthodoxie et Gnosticisme. Ils nous présentent une version gnostique de la religion égyptienne. Il voit dans Isis et Osiris, l'archétype de Sophia et Sabaôth. Ainsi logiquement pour les « Élohistes », Horus est une hypostase du Logos, et puisque la version n'est pas Orthodoxe, Horus n'est que le fils adoptif d'Osiris. C'est le dieu véritable, venu au monde de manière immaculée à travers Isis. L'auteur de manière implicite, a voulu établir une correspondance entre les déesses égyptiennes et les différents états de l'Âme universelle, Sophia dans le mythe gnostique.
En résumé, dans le système solaire, les Gnostiques « Élohistes » identifient l'Instructeur à l'aigle, au vrai Iahvé, à Horus et ces derniers au Soleil (le faux Iahvé règne sur la sphère de la Lune) mais aussi à Hermaphrodite. On apprend en effet dans le Nouveau Testament [52] que le Christ est le surgeon et la race de David assimilée à l'étoile du matin, c'est-à-dire Vénus. Les Gnostiques « Élohistes » font peut-être ressortir un ancien culte égyptien où Thot était reconnu comme le plus ancien des dieux et le Verbe créateur. Les Gnostiques voyaient dans le Soleil, l'Astre-Roi, et dans Mercure et Vénus, le pouvoir sacerdotale. Le mythe « Élohiste » concevait le fait qu'Élohim et le vrai Iahvé se sont rassemblés en une seule émanation pour que cette dernière vienne remplacer Sabaôth dans la sphère solaire. Ainsi, Jésus le Christ est l'étoile qui apporte la Lumière de l'aurore, la Miséricorde, avant le lever du Soleil, la Justice. C'est Hermaphrodite, c'est-à-dire une hypostase d'Élohim qui viendra régner sur la sphère solaire avec le vrai Iahvé, Horus. Ainsi, Jésus prend le rôle du Grand Prêtre, du Roi, du Juge céleste mais aussi du scribe divin, il « rend un témoignage concernant les anges », jusqu'au jour où il se « dressera » pour la condamnation finale des hyliques. N'est-ce pas là représentait le Christ, Fils de David et Fils de Joseph, représentant du sacerdoce mais prenant le pouvoir royal dans le Céleste ?
En résumé, les concordances s'organisent ainsi pour les « Élohistes » (Planète / Égypte / Grèce / Israël) : Soleil / Horus / Hélios / le vrai Iahvé et Mercure / Thot / Hermès / Élohim et Lune / Seth / Hadès / le faux Iahvé.
Pour conclure, nous avons, grâce au Traité sur l'origine du monde, parcouru tous les temps de la création, de la déficience de l'Âme universelle jusqu'à l'apparition de l'homme sur la planète Terre. Nous avons découvert toutes les facettes du Sauveur, qui use de subterfuge pour s'introduire dans « la gueule des lions » [53]. Nous avons expliqué son rôle en tant que Sauveur des hommes psychiques, tout en le détachant de la génération dite « royale », qui s'autoproclame et plagie la véritable classe des spirituels. Pour terminer, nous avons dévoilé l'identité précise du dieu vengeur de l'Ancien Testament, l'injuste, qui usurpe le nom de Iahvé, corrompt la Loi et entraîne, à l'aide de la génération dite « royale » et « sacerdotale », les hyliques et les psychiques vers une corruption de leurs âmes. Ensuite, nous avons expliqué les actions divines déployées face au mal, et le plan providentiel poursuivit. Pour terminer, nous avons éclairci la situation du Sauveur dans le système solaire et son rôle dans l'existence de ce monde.
Résumé des hypostases du Grand Esprit Invisible et du Sauveur selon les noms divins hébraïques :
Pour conclure, traçons de manière concise, les principales hypostases du Grand Esprit Invisible et du Sauveur à l'aide des noms divins Iahvé et Éhyéh sous la forme de Tétragramme. Le Tétragramme sacré Éhyéh [א ה ו ה] correspond à la Tétrade divine, Père [א] Mère [ה] Fils [ו] et Fille [ה] . Iahvé se traduit par « Celui qui est » et Éhyéh par « Je serai ». La différence entre le Tétragramme Éhyéh et celui de Iahvé se trouve dans la première lettre remplacée ici par Alef. Á ce niveau de la cosmogonie, le Yod est renfermé dans la lettre Alef qui représente le silence, la potentialité, l'immuabilité et l'universalité. Alef symbolise donc le Verbe inarticulé car cette lettre ne possède pas de sonorité. Hé correspond au souffle de vie qui transmet l'Âme et la conscience. Vav représente le crochet entre le monde apophatique et le Plérôme, c'est la ligne créatrice, le Verbe manifesté, c'est-à-dire Adamas l'étranger et le deuxième Hé, c'est-à-dire Prophania, reproduit le premier dans le Plérôme. Éhyéh est le Nom de l'Homme primordial androgyne, appelé Barbélô, nom à consonance hébraïque qui signifie « Dieu en quatre ». On peut aussi voir dans ce Nom, le récapitulatif de tous les niveaux du réel. Alef correspondra au monde apophatique, représenté par l'élément Feu. Le Hé au Plérôme, représenté par l'élément Air. Le Vav correspondra au Surcéleste, représenté par l'élément Eau. Enfin, le deuxième Hé correspondra au monde sensible, représenté par l'élément Terre.
Le Tétragramme sacré Iahvé [י ה ו ה] représente quant à lui la deuxième Tétrade, formée cette fois de Pigéra-Adamas comme Père, Prophania comme Mère, le Grand Seth comme Fils et Épinoia comme Fille. Le Vav de Éhyéh devient le Yod de Iahvé. Le Yod correspond ainsi à Pigéra-Adamas, c'est la première forme, le point de potentialité du Tout. Le Hé correspond toujours au souffle de vie transmis par Prophania, le Vav est la ligne créatrice et sert de crocher entre le Plérôme et l'Univers (le Logos) et le deuxième Hé transmet la vie dans l'Univers (Épinoia). Le Tétragramme Éhyéh, en deuxième lieu, concorde aussi avec une troisième Tétrade à partir de Logos-Noùs, comme Père-Mère et Ialdabaôth-Nebrô comme Fils-Fille. Ici, on reprend dès le départ car c'est le commencement d'un deuxième Tout et le Supracéleste étant infini et totalement invisible, il est similaire au monde de Barbélô. Le Logos prend donc le nom d'Éhyéh et Ialdabaôth-Nebrô celui de Iahvé. Pour les Gnostiques dits « Élohistes », Ialdabaôth a usurpé le Nom divin de Iahvé, « Roi » mais ne le manifeste pas car il est issu de la déficience. En effet, Jésus rejettera la royauté terrestre mais pas la spirituelle [28]. Cette Tétrade ne sera sanctifiée qu'après l'illumination de Sophia par le Logos et du détrônement de Ialdabaôth et de son remplacement par le Seigneur Sabaôth. Celui-ci formera alors un couple avec Sophia et formera une quatrième Tétrade avec Élohim et Épinoia. Nous avons ici décrit de manière concise toutes les hypostases du Sauveur à tous les niveaux de l'Univers, spirituelle (Logos), psychique (Élohim) et terrestre (le Soleil). Pour résumé, Éhyéh est le nom de l'Homme primordial androgyne (monde de Barbélô) et dans un second temps, c'est aussi celui du Logos (Supracéleste). Quant à Iahvé, il désigne le Grand Adamas, l'autoengendré, et dans un second temps, l'archonte Ialdabaôth ou un de ses sept fils. Quant au nom Ieschouah [י ה ש ו ה] qui signifie « sauveur », il manifeste celui-ci en tant que réunion de toutes les hypostases ou vêtements du Christ, du Grand Seth à l'homme Jésus.
Note :
[1] L'auteur de l'Apocryphon de Jean, n'a peut-être pas trouvé nécessaire d'évoquer la chute de Ialdabaôth et la création du monde psychique, car ces thèmes sont déjà amplement connus avec le Livre de la Genèse. L'auteur avait principalement pour but, de dévoiler ce que la Bible avait voilée, les temps pré-cosmiques (c'est-à-dire jusqu'à la remontée de Sophia dans le neuvième éon), mais aussi de faire ressortir les mystères du chapitre 2 du Livre de la Genèse. Pour l'auteur de l'Apocryphon, ce chapitre est fallacieux mais contient encore les traces d'un texte primitif possédant la Vérité.
[2] Voir Apocryphon de Jean BG II ; NH III ; 46,15-47,13 et Traité sur l'origine du monde NH II, 5 ; 103,29-104,14. La remontée de Sophia dans le neuvième éon marque la fin du règne de Ialdabaôth. Sophia agira maintenant comme Sagesse créatrice du monde visible, avec Sabaôth et Élohim.
[3] Voir Apocryphon de Jean BG II ; NH III ; 47,14,17-55,18.
[4] Á la manière de Platon, voir Timée ou de la Nature 41b-43b. Notons aussi que les Gnostiques possédaient des écrits d'anciennes traditions bibliques, qu'ils reconnaissaient comme plus authentique que la Bible classique. Ainsi par exemple, l'arche de Noé devient une tour selon la tradition biblique syriaque. Ces variances s'expliquent par la dispersion du peuple juif (Diaspora). Il est même fort probable que les Gnostiques connurent des écrits bibliques encore polythéistes, dont la Bible classique porte encore les traces. L'Apocryphon de Jean attribue l'apparition de la vie sur la planète Terre, à l'influence et à l'ordonnancement des planètes du système solaire, c'est-à-dire aux sept archontes de l'Hebdomade du Sabbat. Élohim, qui ne fait que redresser la création, est en fait celui qui la finalise en permettant à celle-ci de suivre le chemin de l'évolution et de la réintégration. Enfin, notons aussi qu'il n'est pas certain que les auteurs du Nouveau Testament citent l'Ancien Testament tel que nous le connaissons, puisque les transcriptions ne sont pas souvent exactes.
[5] Voir Apocryphon de Jean BG II ; NH III ; 62,3-63,21 et NH II et IV ; 24,9-24,34.
[6] Voir la notice de Bernard Barc sur Le Livre des secrets de Jean, recension brève, Écrits Gnostiques, Bibliothèque de la Nag Hammadi, édition Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade et Le Livre des secrets de Jean, recension brève, Bibliothèque de Nag Hammadi, section « Textes » n° 35, édition Peeters Louvain – Paris – Walpole, MA, 2012.
[7] La Septante a maladroitement traduit le terme Iahvé par « Seigneur » au lieu de « Roi ». Philon d'Alexandrie, reprenant à la Septante le terme de « Seigneur », définira tout de même Iahvé comme « fonction royale ». Le terme « Seigneur » est rendu en Hébreu par Adonaï. Louis Segond avait traduit Iahvé par l'expression « L'Éternel ». Iahvé signifie littéralement « Celui qui est » ou rend le titre de « Roi », « Dominant ». Quant à Élohim, rendu par le terme, « divinité », « dieu », il représente la « fonction sacerdotale ». On trouve cette double notion dans le Livre de l'Apocalypse de Jean, avec César-Deos. Pour les Chrétiens, le véritable Seigneur, c'est Jésus-Christ, et le véritable Dieu, c'est le Père, Élohim de par « qui tout vient » (Voir Ière Épitre aux Corinthiens, chapitre 8, verset 6). Pour eux, la Loi juive et Iahvé disparaissent sous la puissance de Jésus-Christ qui devient le nouveau Seigneur, dont « le joug est doux et le fardeau léger ». Notons que les Gnostiques n'étaient pas antisémites. Iahvé est le dieu national par excellence, mais à travers lui, c'est tous les dieux des Nations qui sont visés, toutes les religions d'État et par extension, le nationalisme.
[8] Voir l'étude de Louis Painchaud, Traité sur l'origine du monde, Bibliothèque de Nag Hammadi, section « Textes » n° 21, édition Peeters, Louvain - Paris, 1995, page 106 à 109.
[9] Dans Le Livre de la Genèse, « la Sèche » apparait au troisième jour de la création du monde. Du temps du règne de Ialdabaôth, tous les éléments étaient mélangés, en désordre (tohu) et ne recevaient pas la Lumière. Les eaux primordiales contenaient tout le Sel du Jugement rejeté par le Plérôme. L'apparition de la Lumière, au premier jour de la création du monde, va jeter le trouble dans les eaux du chaos. Au deuxième jour de la création, elles se séparent à leurs tours du Sel (celle du dessus en sont dépourvues, c'est le Supracéleste et celle du dessous en sont pleines, c'est l'abîme), formant ainsi un espace de régénération (l'Ogdoade, le firmament). Ce dernier, constitué par les étoiles fixes les plus lointaines, fait office de Ciel, de firmament ou de Terre Céleste, pure aussi appelée « Terre adamantine » ou Adamah. C'est le lieu du séjour de l'Homme céleste. Platon soulignait déjà le lien existant entre les êtres vivants sur la planète Terre et les étoiles. En effet, dans Timée ou de la Nature 41d-42a, le démiurge place en chaque étoile, à l'origine du monde, une âme. Notons que pour Maïmonide et Moïse Cordovéro (Pardès Rimonim), téhom, l'abîme, est l'argile du fond de la mer. La boue étant constituée de plus d'eau que de terre, marque la prédominance d'Hokmah, l'argile contenant plus de terre que d'eau, elle est davantage Malkouth. L'abîme peut être considérée comme la matière désorganisée à partir duquel va être créée la matière organisée. Élohim use de la puissance de séparation pour ordonner les éléments puis de la force d'attraction pour les organiser et les faire passer de l'invisible au visible. Le deuxième jour est une sorte de Tsim-Tsoum. Au troisième jour, les eaux primordiales s'étant séparées, il en résulte l'apparition d'un nouvel espace, non plus nommé « abîme » ou « chaos » mais plutôt « terre » ou « la Sèche », puisqu'organisée et placée sous le firmament (traduit « étendue » par Louis Segond). C'est le terme Érèts qui se trouve dans les premiers versets du Livre de la Genèse de l'Ancien Testament pour désigner la « terre », « la Sèche », c'est-à-dire l'espace dédié à la création du monde psychique puis matériel. C'est l'Éden, qui veut dire « plaine » rappelant « la terre ». C'est un espace de génération qui recevra, au troisième jour, la vie psychique, et qui sera rempli de manière visible, ainsi que le firmament, au quatrième jour de la création. Le jardin est donc un des cieux d'Éden, aussi appelé Érèts, « terre ». En effet, selon une large représentation, le jardin d'Éden se situe dans le troisième éon (Voir Traité sur l'origine du monde NH II, 5 ; 109,4-109,7, Voir IIème Épitre de Paul aux Corinthiens, chapitre 12, versets 2 à 4 ou L'Apocalypse grecque de Baruch, chapitre 4, versets 1 à 10 ou encore le Livre des secrets d'Hénoch, chapitre 8, versets 1 et 2).Précisons que les sept éons du Céleste représentent notre système solaire et par analogie (celui-ci étant considérait comme une représentation du schéma classique qu'utilise en toute chose, la Nature éternelle, voir Timée ou de la Nature 39c-39e), les sept grands niveaux de l'Univers, c'est-à-dire toutes les planètes matérielles et psychiques de l'Univers. Ainsi, du 1er au 5ème éon, sont contenues toutes les planètes telluriques puis du 6ème au 7ème, toutes les planètes psychiques et étoiles mineures. Aucun schéma, qu'il soit vertical ou circulaire, ne peut rendre la réalité car tout est en un, comme le souligne Jésus dans l'Évangile selon Luc au chapitre 17, verset 21.
[10] Voir Livre de la Genèse, chapitre 1 et chapitre 2 jusqu'au verset 4a, ou encore voir la Lettre de Ptolémée à Flora, chapitre 7, paragraphe 10, Premiers écrits chrétiens, aux éditions Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade.
[11] Sur la création de l'homme matériel par Iahvé - Élohim : Voir Livre de la Genèse chapitre 3, versets 20 à 24 et par les autorités, Voir Apocryphon de Jean BG II ; NH III ; 54,5-55,18 et NH II ; IV ; 20,28-21,16. Sur la création de l'homme psychique, non par Élohim comme dans le Livre de la Genèse ou par « les autorités » comme dans la version courte mais par Ialdabaôth lui-même : Voir Apocryphon de Jean NH II et IV ; 15,1-15,13.
[12] Une hypostase est une émanation de l'être sur un plan vibratoire différent. Ainsi pour les « Élohistes », le Logos est une hypostase du Grand Esprit Invisible hors du Plérôme. C'est Son essence même. Lorsque les Gnostiques parlent d'un vêtement, c'est que le Grand Esprit Invisible utilise comme support, une forme déjà existante ou une forme qu'Il S'est fait préparer pour se manifester à travers elle. La Gnose n'ayant rien de dogmatique sur le sujet, les interprétations sont aussi nombreuses que les mouvements gnostiques eux-mêmes. Certains considéraient le Logos comme une hypostase, d'autres le voyaient comme un vêtement et d'autres, comme les deux à la fois. Précisons que le Logos est le Verbe inarticulé contenant les idées créatrices du monde matériel et psychique, il peut être considéré comme l'architecte de l'Univers et Élohim comme son ouvrier.
[13] Voir Apocryphon de Jean NH II et IV ; 14,2-14,13.
[14] Voir Ière Épitre de Paul aux Corinthiens, chapitre 7, versets 8 à 40.
[15] Voir l'écrit valentinien intitulé Traité tripartite (113,35–114,9), où le Logos n'est pas assimilé au Christ.
[16] Voir Ière Épitre de Paul aux Thessaloniciens, chapitre 4, versets 13 à 18.
[17] Voir Ière Épitre de Paul aux Corinthiens, chapitre 15, versets 3 à 9 et versets 35 à 44.
[18] Voir Livre d'Isaïe, chapitre 42, verset 9 et Livre de l'Exode, chapitre 20, verset 5.
[19] « Foi » correspond à Pistis, c'est-à-dire à Sophia dans son état d'ignorance premier (13ème éon). « Foi-Sagesse » coïncide étymologiquement avec Pistis-Sophia (Céleste) et « Sagesse » avec Sophia (9ème éon du Céleste-Surcéleste). L'auteur du Traité sur l'origine du monde donne parfois le qualificatif de « Providence » ou de « Providence inférieure » à « Sagesse ». Il fait aussi correspondre cette dernière à la fille de Ialdabaôth, sœur du Seigneur Sabaôth et à « celle qui va et vient au-dessus des eaux » (Traité sur l'origine du monde NH II, 5 ; 103,32-104,13). C'est la Sagesse créatrice de l'Univers visible avec Élohim et Sabaôth. Rappelons que le Sauveur est un double clavier vibratoire, le Logos-Noùs. Le Noùs qui s'identifie à l'Esprit-Saint (l'Eau vive), va alors faire apparaître, ce que l'on appelle couramment l'Âme universelle. Il se subdivise en deux, l'Âme universelle et Épinoia de la Lumière. Une partie de l'Âme universelle reste temporairement au niveau du dernier éon du Plérôme, c'est l'Âme universelle incorruptible, Phronèsis qui signifie « Intelligence » (Voir Apocryphon BG II ; NH III ; 33,5-33,7) ou « sagacité », « prudence ». Quant à Sophia, l'Âme universelle déficiente, elle devient le principe qui transmet la vie dans le monde ainsi que le Sel du jugement rejeté hors du Plérôme. Pour retrouver sa plénitude, Sophia doit d'abord s'unir avec le Sauveur et pourra alors reformer une dyade avec Phronèsis. Notons que les Élus autrefois situés dans la dernière Tétrade des Luminaires du Plérôme, vont remonter au niveau du Luminaire Daveïthé et que l'Âme universelle déficiente mais illuminée, rejoindra finalement Éléleth (Apocryphon de Jean BG II ; NH III ; 35,20-36,15), Épinoia quant à elle, est une émanation purement divine du Grand Esprit Invisible et une dyade avec le Logos, formant le Sauveur. L'auteur fait appel à une dernière mystérieuse dénomination, « Sagesse-Vie », qui créera l'Instructeur, donnera l'âme au corps de l'homme, se présentera à l'homme sous la forme d'un arbre et chassera Ialdabaôth du troisième éon. On peut alors envisager de l'identifier à une manifestation d'Épinoia ou à une forme illuminée de l'Âme universelle, puisqu'elle est Sagesse (Sophia) et Vie (Esprit-Saint). L'auteur s'y réfère en qualité d'Instructrice de la Vie, que les Hébreux nomment « Ève-Vie ». C'est la représentation du Féminin sacré, une émanation de Pronoia sous la forme d'Épinoia, c'est la véritable épouse qui donne aux hommes la véritable Vie, la vie spirituelle.
[20] Nous rendons ici la note 2 de La pléiade sur le verset 2 du chapitre I du Livre de la Genèse de l'Ancien Testament, page 4 : « L'Abîme, hébreu tehôm, correspond au babylonien et à l'assyrien tiam-at « mer », personnifiée aux origines en Tiamat, élément femelle, qui avec l'Apsou, personnification de l'eau douce, donne naissance aux dieux primitifs ».
[21] NH II, 5 ; 101,15-102,11.
[22] Il laisse faire mais n'approuve pas.
[23] L'Ogdoade inférieure fait référence au troisième éon, l'Ogdoade au huitième, et l'Ogdoade supérieure correspond au treizième éon.
[24] Sur les quatre classes d'homme dans le Christianisme, voir Évangile selon Matthieu, chapitre 13 versets 3 à 23. L'Apocryphon de Jean (BG II ; NH III ; 62,3-71,18), à juste titre, les ramène à trois classes considérant la deuxième et troisième classe comme quasi identique mais aussi pour revenir au schéma classique biblique, sans dénaturer le sens chrétien. Ainsi, les spirituels, les Parfaits ou encore la « génération sans roi », sont la troisième classe d'homme. La deuxième classe réunie alors les psychiques « non repentis » comme les Sadducéens, classe dite « royale » mais aussi les psychiques « repentis », les Pharisiens, classe dite « sacerdotale ». Voir l'appréciation de Jésus sur les Pharisiens et les Sadducéens dans l'Évangile selon Thomas, Logion 39 ou encore dans l'Évangile selon Matthieu (Chapitre 16, versets 6 à 12).
[25] « terre de délices (Voir Livre de la Genèse, Septante, chapitre 3, verset 23) qui est à l'Orient (Voir Livre de la Genèse, chapitre 2, verset 8 ou Livre d'Hénoch, chapitre 32, verset 2), au milieu des pierres précieuses (Voir Livre de la Genèse, chapitre 2, verset 12 ou Livre d'Hénoch, chapitre 18, verset 6 à 9).
[26] Chapitre V, Les Métamorphoses ou l'âne d'or, d'Apulée.
[27] Voir Apocryphon de Jean BG II ; NH III ; 49,9-51,1 et Bernard Barc sur Le Livre des secrets de Jean, recension brève, Bibliothèque de Nag Hammadi, section « Textes » n° 35, édition Peeters Louvain – Paris – Walpole, MA, 2012, page 274.
[28] Voir par exemple, Évangile selon Matthieu (Chapitre 4, versets 8 à 11), Évangile selon Jean, (Chapitre 33, versets 33 à 37).
[29] Voir Traité sur l'origine du monde, NH II, 5 ; 114,20-117,28. En résumé, dans cette extrait, l'auteur anticipe en présentant sa version du chapitre 2 du Livre de la Genèse. L'archonte crée le corps de l'homme psychique, puis Sagesse-Vie lui insuffle l'Âme et l'Esprit. Ainsi, le corps psychique se meut puis se dresse (114,20-116,6 / Genèse, 2 ; 7-14). Ensuite, l'archonte fait peser un sommeil sur Adam, il lui transmet une âme corporelle, un Esprit contrefait, Néphèsh, de manière à extirper l'Esprit de lui. Son intention est de tricher, en supprimant l'influence qui lui est contraire en Adam (l'Esprit). Sagesse-Vie prend le contre-pied et obscurcit la vue des archontes de manière à ce qu'ils croient que leur sosie est la véritable Sagesse-Vie (116,7-117,1 / Genèse, 2 ; 21-25). Sagesse-Vie est l'Instructrice de la Vie, et elle sera en fait entrée dans l'Arbre. De plus, l'auteur expose la manière dont seront engendrées les âmes des générations par l'Ève sosie (117,2-117,28). Les hyliques et les psychiques seront engendrés par l'Ève sosie dans une union bestiale avec l'Archonte, c'est Caïn et Abel.
[30] Voir Ière Épitre de Paul aux Corinthiens, chapitre 15, verset 21.
[31] Voir Livre de l'Apocalypse de Jean, chapitre 12, verset 4 où il est indiqué que l'archonte chassera un tiers de l'humanité sur la terre, et le verset 9 où il est lui-même chassé sur la terre avec ses anges.
[32] Voir Épitre de Paul aux Philippiens, chapitre 2, versets 5 à 8.
[33] Voir Épitre de Paul aux Galates, chapitre 4, versets 8 à 9.
[34] Voir Livre de la Genèse, chapitre 2, verset 20. Pour l'auteur du Traité sur l'origine du monde, le chapitre 2 du Livre de la Genèse a mal placé certains évènements chronologiquement. Par exemple, la création des animaux, présentée dans le chapitre 1 comme antérieure à celle de l'homme, devient dans le chapitre 2, postérieure à cette dernière. La présentation des animaux devant Adam au même verset est logiquement mal placée elle aussi.
[35] Voir Livre de Daniel, chapitre 7, versets 1 à 28. La deuxième « Bête » du Livre de l'Apocalypse de Jean, est lion, ours, panthère, et possède dix cornes.
[36] Voir Lettre de Ptolémée à Flora où le thème de la Loi est magistralement traité.
[37] Voir Ière Épitre de Paul aux Corinthiens, chapitre 7, versets 32 à 34 et la IIème Épitre de Paul aux Thessaloniciens, chapitre 3, versets 1 à 18.
[38] Voir Évangile selon Matthieu, chapitre 20, versets 1 à 16.
[39] Pour ce paragraphe, voir dans l'ordre du texte : l'Épitre de Paul aux Galates, chapitre 5, versets 13 et 14, la Ière Épitre de Paul aux Thessaloniciens, chapitre 5, versets 11, la Ière Épitre de Paul aux Corinthiens, chapitre 8, versets 7 à 10 puis la Ière Épitre de Paul aux Corinthiens, chapitre 12, versets 1 à 11. Enfin, voir Évangile selon Thomas, Logion 42.
[40] Voir Traité sur l'origine du monde, NH II, 5 ; 108,1-109,1.
[41] Voir Contre les hérésies, Livre III, chapitre 21, verset 3, Premiers écrits chrétiens, aux éditions Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade.
[42] Voir Traité sur l'origine du monde NH II, 5 ; 106,18-107,10.
[43] Ière Épitre de Paul aux Thessaloniciens, chapitre 5, versets 4 à 7.
[44] Voir Apocryphon de Jean BG 2 ; NH III ; 39,18-42,10 et le Livre sacré du Grand Esprit Invisible NH IV ; 61,10-61,12.
[45] Voir Le Livre des secrets de Jean, recension brève, Bibliothèque de Nag Hammadi, section « Textes » n° 35, édition Peeters Louvain – Paris – Walpole, MA, 2012, par Bernard Barc, page 256.
[46] Voir Livre des Psaumes, chapitre 22, verset 7.
[47] Voir Sentence 315.
[48] Voir Livre des Psaumes, chapitre 92, verset 13.
[49] Voir Traité sur l'origine du monde NH II, 5 ; 110,4-111,29.
[50] Voir la longue description de la Lumière du Soleil dans Pistis-Sophia, page 95, où elle est présentée comme une émanation ayant traversée une « foule de Voile de Lieux ».
[51] Voir Évangile selon Matthieu, chapitre 13, verset 49.
[52] Voir Livre de l'Apocalypse de Jean, chapitre 22, verset 16.
[53] Sur les subterfuges employés par le Sauveur pour s'introduire dans l'Univers et y faire régner sa Providence, voir par exemple Le deuxième Traité du Grand Seth NH VII,2 ; 56,15-16,31.
Bibliographie :
- Ancien Testament, volume 1 et 2, aux éditions Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade.
- Traité sur l'origine du monde, Écrits Gnostiques, Bibliothèque copte de Nag Hammadi, aux éditions Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade.
- Nouveau Testament, traduit par Louis Segond, édition Alliance biblique universelle.
Publié dans la revue L'Initiation Traditionnelle (n°1 de 2022).