Par Teder le lundi 6 novembre 2023
Catégorie: Spiritualité

Origines réelles de la Franc-Maçonnerie - 2

Nous voici en 1413, date de sa mort. Son fils et successeur, Henri V, se déclare immédiatement, assure le fr∴ Bazot, le « Protecteur des Loges écos­saises ». Or, comme ce monarque fut toujours un ennemi implacable de tout ce qui ne tenait pas au romanisme, comme il ne cessa jamais d'obéir aux Conciles de Londres de 1382 et 1397 en faisant brûler tous les partisans de la doctrine de Wickleff, la démonstration est faite que lesdites Loges écossaises ne devaient pas avoir alors moins d'amour pour l'architecture romaine que n'en avaient elles-mêmes les Loges anglaises.

Le fr∴ Bazot ajoute que ce souverain si pieux fut nommé, en 1414, Grand-Maître de toutes les Loges, qu'il accepta cette dignité et combla les ateliers et les Maçons des faveurs royales[1] . Ceci n'est pas tout à fait exact. C'est le fr∴ Henri Chicheley, archevêque de Cantorbery, qui fut le Grand- Maître titulaire ; Henri V, lui, selon l'usage royal en Angleterre, fut le Protecteur maçonnique. Et je note que ce Protecteur maçonnique, à qui le roi Charles VI de France légua sa couronne par traité du 20 juin 1420, donna l'ordre, après la bataille d'Azincourt, en 1415, d'égorger tous les prisonniers français parmi lesquels pouvaient se trouver aussi des Maçons ; ensuite, qu'il fit un Édit condamnant à mort par le gibet ou le bûcher tous ceux de ses sujets qui seraient pris lisant la Bible en langue vulgaire[2].

En 1425, pendant la minorité de Henri VI, le Par­lement, à l'instigation de Henri de Beaufort, évêque de Winchester et tuteur du jeune roi, lance un Édit contre les Francs-Maçons, accusés « d'insubordina­tion et de rébellion[3] ». C'est que, sans doute, il en est parmi eux qui trouvent qu'on a tort de traiter comme des bêtes sauvages les hommes désireux de voir les chefs de la Sainte Église revenir à l'esprit de l'Évangile et à la loi d'amour fraternel enseignée par Jésus ; ou bien, la division maçonnique qui se montre est la conséquence du schisme catholique entre­tenu par les deux Papes qu'on avait alors[4]. Quoi qu'il en soit, il semble certain qu'il ne s'agissait pas d'une insubordination et d'une rébellion générales, puisque les mesures parlementaires furent paralysées par la protection que l'archevêque de Canterbury, Henri Chicheley, accordait aux Francs-Maçons — ce qui est confirmé par les fr∴ Preston, Bazot, Cla­vel, etc. Or, cet illustre fr∴ Chicheley était un pendeur et un brûleur de rebelles de l'Église : « Adroit autant que féroce, ont dit les historiens protestants, cet archevêque continua à poursuivre les Wickletfites, faisant des principaux du pays les ministres de ses cruautés[5] ». Le fr∴ Bazot, sur la foi du fr∴ Pres­ton, nous dit aussi que Henri VI, qui avait été couronné roi de France à Paris le 17 décembre 1430, six mois après la vente de Jeanne d'Arc aux Anglais par Jean de Luxembourg, fut initié en 1442, juste à l'âge de 21 ans ; ajoutons, nous, que cette initiation fut présidée par le fr∴ duc de Gloucester, lequel devait être assassiné bientôt par les soins de Henri de Beau­fort devenu cardinal, et que le roi s'empressa de nom­mer Guillaume Wanefleet, évêque de Winchester, Grand-Maitre de la Maçonnerie anglaise. Onze ans auparavant, les magistrats de ce pseudo-monarque français, approuvés par l'Université de Paris et assistés du vicaire de l'Inquisition, de l'évêque de Beauvais, de l'évêque de Lisieux, de l'évêque d'Avranches, de l'évêque de Noyon, de l'évêque de Boulogne-sur-Mer, de l'évêque de Coutances et du cardinal de Winchester, alors Henri de Beaufort, avaient brûlé Jeanne d'Arc à Rouen pour « crime d'hérésie », au milieu des hommes d'armes anglais commandés par le comte de Warwick, lequel, pour peser sur l'esprit des bourreaux, avait dit, parlant, au nom de Henri VI : « Il l'a payée assez cher et ne veut pas qu'elle meure autrement que par justice, et il entend qu'elle soit brûlée[6] » Il ne paraît pas que l'initiation et les signes maçonniques aient beaucoup protégé ce roi lancastrien, car un jour éclata la fameuse guerre des Deux-Roses — Rose blanche ou Maison d'York contre Rose rouge ou Maison de Lancastre — où les Maçons acceptés, c'est-à-dire les Maçons qui ne maniaient pas la truelle de l'ouvrier, prirent une part active des deux côtés, et un autre initié, futur Édouard IV[7], de la Maison et Grande Loge d'York, détrôna proprement le monarque et le fit assassiner dans la Tour de Lon­dres en 1471.

Les deux fils de Henri VI étant également assas­sinés par les frères d'Edouard IV, celui-ci — que le fr∴ Bazot a oublié de mentionner — monte sur le trône, fait construire une nouvelle chapelle à Wind­sor et devient le Protecteur de l'Ordre maçonnique, à la tête duquel il place, comme Grand-Maître, le fr∴ Richard de Beauchamp, évêque de Sarum, qui appartenait à la famille des comtes de Warwick, et ensuite l'évêque Bray.

Deux autres rois, Edouard V et Richard III, qui régnèrent entre 1483 et 1485, ne sont pas cités par le fr∴ Bazot. Sous le premier et sous le second, le Pro­tectorat de la Maçonnerie anglaise fut le lot d'un duc de Gloucester qui, en 1471, exécutant les ordres d'Edouard IV, avait assassiné le roi Henri VI.

En 1485, Henri VII, petit-fils d'Owen Tudor, insignifiant personnage qui avait été au service de la veuve de Henri V, succède à Richard III, comme appartenant à la Maison de Lancastre par le côté maternel. Alors, la Maçonnerie an­glaise, gouvernée par l'Ordre de St-Jean de Rhodes (futur Ordre de Malte) ne tarde pas à avoir pour Pro­tecteur le nouveau souverain, et l'on voit même celui-ci, le 24 juin 1502, présider une Loge de Maîtres formée dans son propre palais. Tour à tour, les Grands-Maîtres titulaires sont, sous ce règne, l'évê­que Réginald Bray et John Islip, abbé de West­minster. Le fr∴ Bazot a dit que la Maçonnerie fut, à cette époque, dans tout son éclat[8]. Hélas ! la torture le fut aussi : on continua de plus belle à brûler les Chrétiens qui ne voulaient pas adorer Dieu à la manière romaine. Et, parlant du règne de Henri VII, les historiens profanes s'accordent à dire qu'il fut rempli de complots, de trahisons, d'impostures, d'usur­pations, de violences, d'exécutions, et de rapines fiscales ; le roi, qui était d'une cupidité sans nom, tenait un registre secret de tout ce que lui rappor­taient les confiscations extorquées aux nobles qu'il faisait juger arbitrairement.

Le fr∴ Bazot glisse encore sur le règne de Henri VIII qui, cependant, fut un haut Protecteur maçon­nique. En 1509, le Grand-Maître de l'Ordre est le car­dinal Wolsey, archevêque d'York et légat du pape. Après avoir fait brûler solennellement à Londres les écrits de Luther, après l'avoir royalement insulté dans des lettres rendues publiques, Henri VIII, aidé par les cardinaux Wolsey et Etienne Gardiner, ainsi que par les évêques Thomas Morus et Fischer, écrivit une Défense des sept sacrements contre Luther, où il dit : « Je me jetterai au-devant de l'Église pour la sauver ; je recevrai dans mon sein les traits empoi­sonnés de l'ennemi qui l'assaille. L'état présent des choses m'y appelle. Il faut que tout serviteur de Jésus-Christ, quels que soient son âge, son sexe et son rang, se lève contre l'ennemi commun de la chré­tienté. Armons-nous d'une double armure, d'une armure céleste pour vaincre par les armes de la vérité celui qui combat avec celles de l'erreur ; mais aussi d'une armure terrestre, afin que, s'il se montre obs­tiné dans sa malice, la main du bourreau le contrai­gne à se taire, et qu'une fois du moins il soit utile au monde par l'exemple terrible de sa mort ». Ce langage, dont la violence était certainement calculée, valut à Henri VIII des louanges à n'en plus finir et le pape Léon X, à qui l'ouvrage était dédié, ajouta la sienne en donnant à ce Protecteur de la Maçonnerie romaine le titre de Défenseur de la Foi, titre dont se parent encore les souverains d'Angleterre, comme pour mieux donner à comprendre qu'une combinaison profonde a dû avoir lieu au moment de la Réforme dite luthérienne. Car enfin, si, cent ans auparavant, le Concile général de Bâle avait fait des Décrets pour la Réformation de l'Église, Décrets restés lettres mortes, il est non moins vrai qu'une mystérieuse protection entoura toujours Luther, et l'on a bien des raisons pour se demander par quel miracle ce moine a pu échapper au poignard d'un fanatique, quand tant de fanatiques ont été conduits à tuer des rois entourés de gardes. Tout s'explique, lorsqu'on sait comment se créent les dualités factices : l'unité invi­sible règne toujours derrière la diversité visible.

Mais bientôt Henri VIII, apparemment pour des affaires de femmes et d'argent, devient antipapiste à son tour ; et comme ce Protecteur de la Maçonnerie n'ignore pas tout le pouvoir des moines sur la Con­frérie qui construit et répare les « cathédrales », les « monastères » et les « couvents », comme ces hommes déplaisent beaucoup au peuple à cause des bûchers que des moines ont dressés, il ne trouve rien de mieux que de décider leur destruction ; puis il s'empare de tout ce qui leur appartient, comme s'il s'agissait du bien de simples Templiers ou de Juifs vulgaires, et il s'empresse de faire le généreux en dis­tribuant les dépouilles à tous les personnages influents de son royaume qui peuvent le soutenir dans sa belle équipée. En 1540, il fait décapiter le fr∴ Thomas Cromwell, comte d'Essex, qui, en 1529, avait remplacé le cardinal Wolsey à la Grande-Maîtrise des Maçons, et il lui donne pour successeur Jean Touchet, dit lord Audley, que tous les historiens profanes s'accordent à considérer comme un être avide, bas, cruel et igno­ble. Henri VIII est-il protestant ? Pas du tout. Luther, traité par lui de goujat, le traite à son tour de porc. Ce « tueur de poule aux œufs d'or » — comme l'appelle Charles-Quint — reste catholique, garde tous les dogmes de l'Église romaine, mais ne veut plus entendre parler de la tutelle papale[9]. Il se sépare simplement du Centre, non pour satisfaire son peuple, mais par pur égoïsme et aussi pour ne pas voir ses passions censurées. Son intérêt particulier, voilà ce qui le mène. Il veut être roi, parlement, clergé et pape à lui tout seul. Les prêtres réformés qui ne veulent pas de sa suprématie en matière religieuse sont voués par lui aux mêmes bûchers ou aux mêmes billots que les catholiques romains restés fidèles à la supré­matie papale, et, s'il le pouvait, il ferait subir à tous les adversaires de sa tyrannie anglicane et de sa lubri­cité bestiale, le même sort qu'à ses favoris et à ses nombreuses épouses.

Les règnes d'Edouard VI et de Marie Ire sont égale­ment laissés de côté par le fr∴ Bazot.

Sous Edouard VI, c'est Édouard Seymour, duc de Sommerset et Oncle du jeune roi, qui est à la tête de la Maçonnerie ; mais, en 1552, on le décapite pour crime de félonie, à la place même où, trois ans aupa­ravant, il avait fait décapiter son propre frère, et alors la Grande-Maîtrise passe au fr∴ Jean Poinet, évêque de Winchester. Durant ce temps, la Réforme religieuse s'étend, en dépit des efforts de l'anglicanisme pour l'endiguer.

Sous Marie, épouse de Philippe II, fils de Charles-Quint, le romanisme reprend vie et se venge ; mais aussi il se fait de plus en plus haïr dans le peuple, dont les sentiments de justice sont sincères, mais dont l'ignorance peut le rendre une victime facile de la mauvaise foi de ceux qui ont besoin de lui pour défendre leurs intérêts particuliers.

Pendant les règnes d'Edouard VI et de Marie, comme à l'époque de Henri VIII, une scission maçon­nique correspond au schisme religieux, scission en apparence si profonde, que le fr∴ Clavel s'y laisse prendre et, expliquant singulièrement ce qu'on a appelé le « premier coup de canon », déclare que « la Réforme de Luther porta un coup mortel aux associations maçonniques[10]». Le fr∴ Rebold croit, à son tour, pouvoir constater la même chose[11]. Mais ces deux auteurs, tout en établissant que ces associations devaient être forcément catholiques romaines, ont fait une confusion vraiment étrange : car — disons tout — la Réforme de Luther n'a jamais été celle des rois anglais.

Qu'on médite au sujet de cette scission, qu'on n'oublie jamais que derrière la diversité des cultes ou des Églises se trouve toujours l'Unité catholique, qu'on se souvienne de la chaîne d'initiés reliant dans l'antiquité les diverses manières existantes d'adorer Dieu, qu'on examine comment et pourquoi des formes religieuses nouvelles, ne changeant rien à la morale des anciennes, surgissent de temps en temps pour s'adapter au caractère particulier d'une nation, et l'on trouvera tout de suite la clef de cette devise si connue en politique : Ordo ab chao.

Ne comprenant peut-être rien à cela ou n'étant pas très sûre, pour ses vues anglicanes, d'avoir une majorité maçonnique en sa faveur, la reine Elisabeth, en 1561, emploie la force armée pour dissoudre la Grande-Loge, alors établie à York. Toutefois, cette mesure, dit le fr∴ Preston, est heureusement déjouée par l'intervention du fr∴ Thomas Sackville, alors Grand-Maître, qui a la bonne idée d'initier quelques-uns des chefs de cette expédition. Or, ceux-ci ayant communiqué avec les maçons, font un rapport si favorable à leur sujet que la Reine donne contre-ordre et décide de ne plus jamais troubler leurs assemblées[12].

Elle prit, ajoute le fr∴ Bazot, les Maçons sous sa protection spéciale et abrogea l'Édit de 1425[13] — lequel n'avait jamais été appliqué[14].

La Maçonnerie du fr∴ anglican Thomas Sack­ville fut, en effet, tant protégée, que ce Grand-Maître, en 1567, passant sa charge au fr∴ comte de Bedford et à un richissime marchand appelé sir Thomas Gresham, recevait le titre de baron Buckhurst, puis était nommé en 1570 ambassadeur à la Cour de notre célèbre Charles IX. Pour bien montrer son attachement, non pas à la Réforme de Luther, mais au catholicisme anglican d'Elisabeth, il prit-plaisir, en 1572, à voter la mort du romaniste duc de Nor­folk, et, en 1586, à voter celle de Marie Stuart — ce qui ne l'empêcha pas, en 1603, d'être créé premier dix de Dorset par le propre fils de cette reine, le fr∴ Jacques VI d'Écosse, autrement dit Jacques 1er, suc­cesseur d'Elisabeth et père de Charles 1er.

Entre temps, la Grande-Maîtrise maçonnique était échue au comte d'Effigham, mort en 1579, et qui appartenait à la famille romanisante des Howard ; puis, en 1588, au fr∴ comte de Huntington, de la famille Hastings.

Sous Jacques 1er, proclamé en 1603 roi d'Angle­terre, d'Écosse et d'Irlande, c'est le fr∴ Inigo Jones qui est élu Grand-Maitre et il est député par le roi pour le gouvernement de toutes les Loges.

Retenez bien ce nom d'Inigo Jones — car vous verrez un fr∴ Inigo Jones apparaître un jour, aux heures des vengeances dynastiques, quand il s'agira, en France, de placer le fr∴ Charles-Edouard Stuart à la tête des Anglais, Écossais et Irlandais d'Amérique, et d'aller aider ceux-ci dans leur rébellion contre la métropole[15].

En attendant, quelles sont, sous Jacques 1er, les instructions maçonniques ?

Deux manuscrits de l'époque, dont l'authenticité n'est pas niable, auxquels on ne peut rien opposer de contradictoire, qui reproduisent même la teneur d'autres manuscrits existants encore et écrits sous Henri VIII, nous les révèlent, ces Instructions.

Le premier porte :

« La première instruction est que vous serez fidèles à Dieu et à la Sainte Eglise, et que vous n'emploierez ni erreur, ni hérésie, selon votre jugement, pour discréditer les enseignements des hommes sages » ;

« Et aussi que vous serez hommes-liges fidèles au roi d'Angleterre sans trahison ou autre fausseté, et que vous ne connaîtrez la trahison ou la tromperie que pour la réparer secrètement en en informant le roi ou son Conseil[16]. ».

Le second manuscrit renferme le passage suivant :

« L'apprenti sera fidèle à Dieu et à la Sainte Eglise, au prince son maître et à Dame qu'il servira[17]. »

Cependant, étant donné qu'une scission maçon­nique, artificielle ou non, créée par l'ignorance des uns, les idées réformatrices des autres, ou l'esprit de vengeance de sectaires, existait alors ; étant donné aussi que la Conspiration des poudres et autres atten­tats révèlent, sinon absolument la haine du romanisme pour le roi, au moins de sérieux moyens d'in­timidation ; il me paraît évident que des Maçons instruits, peut-être encouragés par Jacques 1er, et dans tous les cas voulant une Maçonnerie chrétienne neutralisée entre tous les cultes, ont dû chercher à cette époque à se débarrasser du romanisme contenu dans les rituels et à revenir à la tradition de l'éclec­tisme et des mystères anciens.

Je n'insiste pas sur ce point, car les faits parlent et parleront d'eux-mêmes.

                                              *

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Passons maintenant à l'Irlande.

Les classiques de la Maçonnerie, en France comme ailleurs, ont été d'accord pour se taire au sujet de la Maçonnerie irlandaise.

Pourtant, d'après les documents anglais eux-mêmes, c'est bien en Irlande que l'on trouverait les traces les plus anciennes de l'« Art royal » dans les Iles-Britanniques. En effet, les Masonic Calendars prétendent, à tort ou à raison, que la Maçonnerie aurait été introduite en Irlande par Heber et Heremon, tous deux fils du Grec Milesius, en l'an 1264 avant J-C, et que, en l'an 769 avant notre ère, des
meetings trimestriels maçonniques auraient été établis à Tara par Eochaïd, surnommé le savant docteur[18].

Mais ceci n'est que de l'histoire nuageuse et n'offre aucun intérêt. Ce qui est plus intéressant pour nous — et ceci regarde la Maçonnerie chrétienne-romaine — c'est que, dès l'an 450 de notre ère des églises et des prieurés furent construits en Irlande sous la direction d'un moine-évêque, saint Patrice, entre autres le mo­nastère d'Armagh. Il semble certain qu'une caverne du lac Dearg, dans l'Ultovie, caverne à laquelle la légende a donné le nom de Purgatoire de saint Patrice, servit de place d'initiation[19]. A partir de l'arrivée de ce moine, monastères et églises se multiplièrent petit à petit, tandis que de nouveaux moines se répandi­rent ayant pour mission de prêcher partout la morale contenue dans l'Évangile et l'obéissance absolue aux évêques de Rome.

En 872, le roi anglais Alfred-le-Grand, protégé du pape Léon IV, fut initié au collège de Mayo et se déclara Protecteur de la Maçonnerie d'Irlande — de la chrétienne-romaine s'entend[20]. Or, à cette épo­que, l'Angleterre proprement dite n'avait rien de commun avec l'Irlande. En 960, la Confrérie irlan­daise construit les châteaux de Castletown et de Rushin, dans l'île de Man. En 1014, les archives de l'Ordre sont détruites ou emportées par les Danois, ce qui ne met nullement obstacle à sa continuation ni à celle de la construction des églises et des châteaux. Toutefois, l'architecture chrétienne, en dépit des incursions de Danois qui ont été depuis cano­nisés, fut lente à s'implanter, les habitants ne per­dant pas facilement les traditions druidiques ni surtout l'habitude de suivre leurs chefs quand il s'agissait pour eux de défendre leur sol contre les entreprises étrangères. Mais un jour la poire fut mûre et le moment vint de la cueillir ; des évêques d'Irlande devinrent archevêques, des seigneurs irlan­dais comptèrent sur des principautés — ceci se pas­sait après le Synode de 1148 — et un beau matin, les éléments qu'on avait préparés et dont on disposait en Irlande présentant une force imposante, le fr∴ Henri II écrivit au pape pour lui demander l'autori­sation d'aller corriger le peuple irlandais, peuple abo­minable qui avait l'audace de refuser de comprendre, non pas la morale du Christ, mais la religion contenue dans la Dîme. Le pape Adrien IV, né Breakspear et Anglais d'origine, ne pouvait mieux faire que d'applaudir à ce grand acte généreux et vertueux. Il répondit en 1155 : « Vous savez que toutes les îles qui ont reçu la foi appartiennent à l'Église de Rome ; si vous voulez donc entrer en Irlande pour en chasser les vices et faire payer par chaque maison le denier de Saint-Pierre, nous vous l'accordons » ... Dans un autre temps, Satan avait dit à Jésus : « Je te don­nerai ces royaumes si tu veux être à moi » ...

Henri II, qui n'était pas Jésus, fut au pape ; et la conquête, organisée par les Templiers gouvernant alors l'Ordre maçonnique anglais, commença en même temps que, dans les endroits envahis, la construction des monastères s'étendit davantage. En 1166, le Prieuré de All-Saints est bâti par Dermot Mac Murrogh, lequel sera un des premiers à se soumettre aux envahisseurs, et, en 1168, la confrérie construit le château de Tuam. En 1169, elle construit aussi, sous la direction d'O'Brien, l'Église de Sainte-Croix, à Tipperary. En 1171, le fr∴ Henri II pénètre en per­sonne en Irlande, où il est naturellement accueilli comme un « libérateur » par les archevêques, les évêques, les moines, les populations dont ils disposent, et ceux des seigneurs indigènes qui comprennent bien l'art de se tailler des droits nouveaux en pactisant avec l'ennemi ; seuls, les chefs de l'Uls­ter refusent de se soumettre et conservent leur indé­pendance. Un Synode de tous les évêques se réunit à Lissemor, en 1772, et s'empresse, par amour de la Dîme, de reconnaître la souveraineté de l'envahisseur ; la même année, le pape Alexandre Ill confirme en ces termes la « donation » faite à Henri Il par le pape Adrien IV d'une contrée qu'il s'agissait bien moins de rendre chrétienne, puisqu'elle l'était devenue, que de rendre tributaire sous un prétexte religieux : « Nous confirmons et accordons semblablement le dit octroi et privilège, à la réserve de la pension annuelle d'un denier par chaque maison dû à Saint-Pierre et à l'Église romaine, aussi bien en Irlande qu'en Angle­terre, pourvu toutefois que le peuple d'Irlande soit réformé dans sa vie et dans ses mœurs abominables, qu'il devienne chrétien de fait comme il l'est de nom[21]. »

Les envahisseurs, défenseurs de l'architecture ro­maine et de la Dîme, se partagent les terres ; des gar­nisons anglaises occupent la plupart des villes ; la Maçonnerie et l'Église, se prêtant un appui mutuel, vont enfin prospérer. En 1179, Hervey de Mountmorres, de la famille des Montmorency de France, bâtit l'Eglise de Dunbrody. En 1190, c'est un certain Hugo de Lacy qui gouverne l'Ordre maçonnique irlandais, et ce Hugo de Lacy, qui avait eu en 1173 le gouvernement de l'Irlande conjointement avec le fr∴ Richard de Clare, marquis de Pembroke et Templier, fut précisément un grand favori du Protecteur de la maçonnerie anglaise, Jean-Sans-Terre, lequel en 1213, dans la maison des Templiers à Douvres et en présence du Légat du Pape Innocent III, fit don de son royaume et de celui d'Irlande à la Papauté pour les recevoir d'elle en fiefs. En 1210, c'est bel et bien un archevêque de Dublin, Henri de Loundre, qui est Grand-Maître maçonnique, et le château-fort de cette place, devenue anglaise en 1171, est construit sous sa direction, en même temps que le Prieuré de Kilkenny sous celle du Templier Guillaume Marshall, comte de Pembroke. En 1235, la Maçonnerie d'Irlande, évi­demment souchée sur la Maçonnerie anglaise, fait des levées de subsides pour une croisade en Palestine, à l'heure même où le fr∴ Henri III d'Angleterre emprunte de l'argent aux Templiers qui gouvernent alors l'Ordre maçonnique anglais. En 1290, le Prieuré d'Ards et le château de Trim sont fondés par le Grand-Maître d'Irlande, lequel est encore un Hugo de Lacy, mais cette fois décoré du titre de comte d'Ulster. En 1464, c'est un certain comte Thomas de Desmond, de la famille des Fitz-Gérald, qui est à la tête de l'Ordre, et, en 1517, on voit la Grande-Maî­trise entre les mains du fr∴ comte de Kildare, de la même famille.

Je suis forcé d'abréger ; mais je puis dire avec con­viction qu'à partir du moment où le pape Adrien IV eut donné l'Irlande à Henri II, la Maçonnerie irlan­daise, au moins celle inféodée à l'Église et à la Maçonnerie d'Angleterre, n'a pas plus cessé d'exister que ne cessèrent de travailler les missionnaires, les prêtres et les moines préparant les voies de la conquête. Cepen­dant, des éléments écossais ont dû être introduits en Irlande par Robert Bruce vers 1306, principalement parmi les barons désireux de reconquérir ou de gar­der leur indépendance. Il me paraît aussi certain que les Templiers réfugiés en Écosse en 1312, ou qui y existaient auparavant, eurent des rapports avec ceux d'Irlande et continuèrent avec cette contrée des rela­tions secrètes avant comme après l'expédition d'Édouard Bruce, laquelle ne réussit pas et se termina en 1318, par le triomphe définitif du roi d'Angleterre sur l'Irlande.

Au demeurant, on peut voir, dans les faits histo­riques qui précèdent, que c'est encore la haute classe sacerdotale, nobiliaire ou fortunée, et dans tous les cas catholique-romaine, qui gouvernait l'Ordre ma­çonnique irlandais, dans l'intérêt de l'architecture papale et d'un petit nombre de personnages égoïstes, et non pas dans le but d'introduire parmi le peuple, changeant simplement de maîtres et de mangeurs de taxes, le régime d'amour et de bonté qui faisait et fait encore le fond de la doctrine essénienne du Christ.

[1] Manuel du Franc-Maçon, etc., BAZOT, 1845, vol. I, p. 65.

[2] Hist. abrégés de l'Egl. de J.-C. E. Guers, 1820, p. 382.

[3] Documents anglais. Voir aussi Clavel, p. 92, et les autres auteurs maçonniques.

[4] Ces deux papes étaient Martin V et Clément VII (Gilles de Mugnos).

[5] Hist. abrégée de l'Eglise de Jésus-Christ, par E. GUERS 1850, p. 388.

[6] The New Book of Rings, by J. Morrisson Davidson, Barrister-et-Law, p. 38.

[7] Teder indiquait Henri IV mais il s'agit d'une erreur, il s'agit bien d'Edouard IV (Note de la Rédaction septembre 2022)

[8] Manuel du Franc-Maçon, etc., t. 1, p. 65.

[9] Voir le Statut de 1539. Henri VIII va même jusqu'à interdire la lecture de la Bible en langue vulgaire, renouvelant ainsi l'Édit de Henri V, l'ennemi acharné des partisans de la Réforme de Wickleff.

[10] Hist. pitt. de la Franc-maç., CLAVEL, p. 88.

[11] Hist. générale de la Franc-Maç, E. REBOLD, 1851, p. 123.

[12] Illustrations et Masonry, W. Preston, 1781, p. 203.

[13] BAZOT, p. 65 ; CLAVEL, p. 92 ; REOLD, p. 123 ; etc., etc.

[14] Goubd et Preston sont d'accord sur ce point.

[15] Le prince Charles-Edouard refusa l'offre qui lui fut faite à ce sujet par le gouvernement français.

[16] Manuscrit de Dowland, publié dans le Gentleman's Magazin du 31 mai 1815.

[17] Harleïan Manuscript, n° 1949, British Museum.

[18] Masonic Memorabilia, The British, Irish and Colonial Masonic Calendar, 1866, p. 233.

[19] Cette place fut fermée par ordre du Pape Alexandre VI, en 1497, et rouverte un peu plus tard. Les exercices de la contemplation y étaient en usage.

[20] Masonic Memorabilia, The British, Irish and Colonial Masonic Calendar, 1866, p. 233.

[21] Anglia-sacra.

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